Madagascar : L'Expert Comptable Et le Président

Vendredi, 19 Septembre 2014 07:11 Dossier
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Jeannot Ramambazafy présentant son livre

Un expert-comptable remarquable peut-il devenir un président efficace ?

Il est Président de la République depuis plus de 8 mois maintenant. Son gouvernement a exprimé ses priorités principales dans la Politique Générale de l’Etat : réduction de la pauvreté et de l’instabilité, renforcement de l’Etat de Droit, lutte contre la corruption, accroissement de l’investissement direct étranger, et développement du secteur privé. Il a voyagé dans le monde entier. Il a voyagé à travers le monde pour chercher un soutien à son régime et son programme. Pourtant, Hery Rajaonarimampianina a du mal à trouver l’impulsion qu’il faut pour faire bouger les choses. Pour être juste, il a hérité d’une situation complexe, dont un environnement politique toxique et un état en quasi-banqueroute. Néanmoins, cela fait presque 9 mois qu’il est en exercice et il doit démontrer des résultats concrets et significatifs. La période de lune de miel sera bientôt finie, et il est temps qu’il montre des résultats.

Plusieurs questions émergent déjà. Est-ce qu’il a ce qu’il faut pour répondre aux aspirations de la population ? Est-ce qu’il a l’énergie requise et l’ambition de changer la façon dont les choses se présentent ? Est-ce qu’il a une vision claire pour Madagascar ? Est-ce qu’il a le background et la personnalité pour être un président efficace ? Je vais traiter ce dernier sujet, si vous le voulez bien.

A travers le monde, de nombreux présidents ont occupé une  grande diversité de jobs avant de devenir les dirigeants de leurs pays. En Croatie, le président était un compositeur classique, en Albanie, il était peintre ; en Turkménistan, un dentiste ; en Slovénie un mannequin homme ; en Australie, un prêtre stagiaire ; en Irlande, un poète. Le Président Rajaonarimampianina est un expert-comptable, et pour autant que je sache, le premier expert-comptable au monde à avoir été élu président. Est-ce que ce background peut être à la racine du problème ?

Pour sûr, il était un excellent expert-comptable avec des références sidérales. (...)
En tant que Ministre des Finances pendant le régime transitoire Rajoelina (2009-2013), il a pu maintenir un certain degré de discipline fiscale. Ce qui ne fut pas un exploit mince, quand on considère la nature chaotique de la transition.
Mais est-ce qu’un expert-comptable remarquable peut devenir un président efficace ? Les grands experts-comptables ont généralement une personnalité très analytique. Ils font le suivi du moindre détail et ont tendance à se focaliser sur la sécurisation que tout est bien justifié. Ils se doivent de revérifier tout. Pour chaque décision, ils étudieront à fonds tous les résultats et fruits possibles. Qui est pour, qui est contre ? Les grands experts-comptables sont orientés dans les détails, avisés, minutieux, ne prennent pas de risque, et par-dessus tout, patient pour tout effort qu’ils ont à faire. Rien de mal à cela.

Sauf peut-être si vous êtes le président d’un pays où, comme le déclare le Président Rajaonarimampianina lui-même : «Tout est urgent ! ».

Un président efficace est un bon leader. Il (ou elle) doit être un rêveur et un visionnaire. Les rêves et les visions ne devraient pas être contenus par des pratiques générales d’expertise-comptable ou des considérations d’orthodoxie financière. Un bon leader est créatif et réfléchit  hors de son cadre .Un bon expert-comptable, avec son esprit analytique, est trop focalisé sur les détails des PV (*) et ne peut être un leader dynamique et efficace. Un leader sage devrait s’entourer de personnalités fortes et intelligentes, dotées d’une faculté d’analyse et capables de maîtriser ces détails.

(*) http://www.evancarmichael.com/Leadership/2029/An-Accountant-or-a-Leader--but-rarely-both.html

On peut avancer que, pendant ces 9 premiers mois de son mandat, le Président Rajaonarimampianina a davantage agi comme un expert-comptable analytique que comme leader visionnaire. Il a été rigoureux, minutieux, avisé dans son approche pour élaborer les politiques. Cela a été nécessaire, étant donné le manque général de discipline dont il a hérité. Il a pris très peu de décisions audacieuses jusqu’ici. Il a évité tout mouvement risqué. Il n’a pas fait d’effort significatif en communication, ou en s’assurant un soutien populaire pour sa vision.

Comme un joueur habile de « fanorona », il a patiemment préparé chaque coup. Mais il se peut bien que  les Malgaches seront  bientôt à court de patience. S’il veut commencer à avoir des résultats, il doit arrêter d’agir comme un DAF et devenir un PDG. Il est temps pour lui d’arrêter de se comporter comme un grand expert-comptable qu’il a été et d’agir comme un président, poste pour lequel il a été élu.

16 Septembre 2014

L’auteur est senior économiste à l’Institut de la Banque Mondiale, un des fils d’Andriamananjara Rajaona, Président de l’Académie Malgache

Mis à jour ( Vendredi, 19 Septembre 2014 07:38 )