Le bail emphytéotique à Madagascar est-il une vente de la patrie ?
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Le bail emphytéotique à Madagascar est-il une vente de la patrie ?
Introduction
La mise en location de millions d’hectares de terre malgaches, sous forme de bail emphytéotique, à des investisseurs, notamment étrangers, comme méthode incontournable et sûre de développer le pays et son agriculture est prônée par les dirigeants malgaches dans le Programme Sectoriel de l’Agriculture, Élevage et Pêche 2016-2020 et dans leurs discours. Des citoyens malgaches et des organisations de la société civile critiquent et condamnent cette conception qui lèse les intérêts majeurs de la nation en qualifiant cette pratique de « vente de la terre des ancêtres, vente de la patrie ».
Le Collectif TANY revient sur ce sujet en soulignant que le bail emphytéotique n’est pas une simple location mais accorde des droits spécifiques au preneur, et que du point de vue des traditions malgaches, le bail emphytéotique correspond à un type de vente des terres.
Le bail emphytéotique n’est pas une simple location des terres
La majorité des gens savent que « ce bail est consenti pour une durée supérieure à 18 ans et ne pouvant pas excéder 99 ans », selon la loi 96-016 [1]
Les autres dispositions de l’article 1 de cette loi méritent une attention particulière : « le bail emphytéotique confère au preneur du bail un droit réel susceptible d’hypothèque : ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière (…) » [2]
Pendant la durée de la location, le preneur dispose donc de droits importants comme l’utilisation de ce bail comme hypothèque auprès des banques en cas de prêts financiers.
La vie nationale de ces dernières années ayant montré
- que l’État en particulier, prévoit de louer dans ces conditions de très vastes surfaces de terres,
- qu’un grand nombre d’investisseurs ne dispose pas des fonds nécessaires à leur projet au moment où ils contractent le bail emphytéotique sur les terres malgaches mais doivent encore emprunter auprès des banques,
- et que la date de fin du bail n’est jamais connue de manière sure puisqu’il est renouvelable,
les risques de perte de contrôle des terres malgaches s’avèrent très élevés.
Le Collectif TANY propose donc de réviser en urgence la loi sur le bail emphytéotique pour enlever la possibilité d’hypothèque et la libre cession mentionnées dans la loi actuelle.
Cette révision de la loi devrait également prendre en compte le fait que la terre est un bien sacré, unique moyen de production pour la majorité de la population malgache, mais n’est pas une marchandise que les uns et les autres peuvent céder et trafiquer comme un objet de transaction banal.
Le Collectif TANY a déjà dénoncé à plusieurs reprises l’exclusion et l’expulsion des communautés locales et des paysans provoquées par la location par bail emphytéotique des terres qu’ils cultivent et où ils vivent.
Le rappel d’une tradition ancestrale sur les ventes de terres s’impose ici, malgré la méconnaissance ou le mépris de la culture et des coutumes par la majorité des décideurs et économistes malgaches.
Différents types de vente existent dans la tradition malgache
Les anciens Malgaches avaient défini au moins deux types de vente de terres, généralement faits entre membres du lignage et voisins : il s’agit du varo-maty (vente morte, définitive) et du varo-belona (vente vivante, c’est-à -dire réalisée dans le but et l’espoir de pouvoir racheter les terres qu’on a dû vendre à un moment de grand besoin de numéraires, ressemblant donc à une vente provisoire, limitée dans le temps). Cette pratique se rencontre encore actuellement au sein des populations rurales.[3][4]
Du point de vue des communautés locales dépouillées et expulsées de leurs terres par l’Etat en vue d’une location de ces terres dans le cadre de bail emphytéotique, et qui n’auront pas accès à leurs terres pendant une longue durée, rien ne différencie un bail emphytéotique d’un « varo-belona ».
Par ailleurs, les communautés rurales malgaches ont tendance à éviter de vendre, même à des voisins, les terrains hérités des ancêtres (tanindrazana), mais vendent les parcelles que les ménages ont acquises par leurs propres efforts. Mais les agents de l’Etat et les lois malgaches incluent dans les terres susceptibles d’être louées aux investisseurs, nationaux ou étrangers, toutes les terres sans distinction.
Ces éléments font partie des raisons qui expliquent le fossé de plus en plus profond entre le discours et les ambitions nourris de néo-libéralisme de la majorité des dirigeants malgaches d’une part, et les convictions de la majorité de la population d’autre part.
Conclusion
Une co-publication [5] du Collectif TANY avec d’autres organisations en 2013 mentionne dans le chapitre sur le contexte culturel de l’usage de la terre à Madagascar que « la terre occupe une place privilégiée dans la hiérarchie des valeurs. À part sa valeur économique, la terre est sacrée pour les Malgaches et possède un caractère quasi religieux car dans leur croyance la terre est à la fois la Mère, l’Ancêtre et le Dieu. [6]
Pourquoi certains choix politiques et économiques décident-ils de dépouiller les citoyens malgaches de l’usage de leurs terres - pendant quelques décennies - pour les allouer à des opérateurs économiques ou financiers, dont certains ne disposent même pas de moyens suffisants pour réaliser le projet envisagé dans le cadre du bail emphytéotique mais ont besoin d'hypothéquer leur bail auprès des banques ? Des études montrent en outre que à Madagascar, comme ailleurs, ces projets à emprise foncière rencontrent quelquefois – voire souvent – des échecs alors que les conséquences des expulsions des paysans de leurs terres sont très dommageables pour le pays. [7]
Le Collectif TANY propose qu’au lieu de « vendre la terre des ancêtres, la patrie» dans le cadre des innombrables futurs baux emphytéotiques envisagés pour les ZIA (zones d’investissement agricole), ZES (zones économiques spéciales), etc …, la principale option à adopter par les dirigeants devrait consister à respecter, écouter véritablement et chercher à bien développer la population malgache, notamment les paysans, acteurs locaux et ressources disponibles, capital humain considérable et précieux, qui détient le capital en terres et en connaissances ancestrales et investit sur les terres malgaches depuis des générations, pour trouver ensemble de nouvelles solutions aux problèmes actuels du pays.
Paris, le 9 juillet 2018
Le Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
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; http://terresmalgaches.info; www.facebook.com/TANYterresmalgaches
[1]Conformément à l’alinéa 2 de l’article 1 de la loi 96-016 portant modification des certaines dispositions de l’Ordonnance n°62-064 du 27 novembre 1962 relative au bail emphytéotique.
[2] Alinéa 1 : Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque : ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière [...]
Alinéa 5 : avec l’assentiment du bailleur ce bail est librement cessible par le preneur à des tiers sur base d’un contrat signé et dûment enregistré ;
Alinéa 6 : comme instrument négociable, le preneur peut librement laisser ce bail en sécurité ou nantissement d’un prêt ou de toute autre opération financière auprès des tiers y compris auprès des banques et institutions financières ;
Alinéa 7 : les procédures juridiques mentionnées ci-dessus qui concernent le consentement et l’enregistrement d’un bail sont les mêmes, qu’ils s’agissent de biens immobiliers publics ou domaniaux, voire privés, sachant que le bailleur peut être l’Etat ou la communauté qui en est propriétaire […] »
[3]https://books.google.fr/books?id=JNmoDgAAQBAJ&pg=PT182&lpg=PT182&dq=varo-belona&source=bl&ots=RWZrzQTsDP&sig=A9JtxFGGFADVWs8M80jAkUVUml4&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjdydbW_oncAhVC7xQKHX2oCWEQ6AEIQTAG&authuser=6#v=onepage&q=varo-belona&f=false
[5]Re:common, SIF, TANY, « Accaparements de terre à Madagascar – Echos et témoignages du terrain - 2013 », http://terresmalgaches.info/IMG/pdf/Rapport_Accaparements_de_terres_Madagascar_2013.pdf (page 12)
[6]Un proverbe malgache exprimant la sagesse des Anciens souvent cité par les chercheurs dit « Ny tany vadiben-janahary : mihary ny velona, manotrona ny maty »