COMMUNIQUE
COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ET SOLUTION MALGACHO-MALGACHE
Depuis le début de la crise, en 2009, une expression revient sans cesse dans les médias, dans les discours politiques et dans les conversations de rue : la «communauté internationale» (CI). Les appréciations la concernant sont généralement négatives, et lourdes d’appréhensions. Il a donc semblé utile au SeFaFi de resituer l’intervention de la CI dans sa véritable perspective et, du même coup, proposer une voie de sortie de crise véritablement malgacho-malgache.
Une identité à géométrie variable
La communauté internationale désigne l’ensemble des États du monde. S’y ajoutent, de fait plus que de droit, le système des Nations Unies, des institutions diverses et d’innombrables organisations régionales. Au sein de cette nébuleuse, Madagascar est membre de l’IOR-ARC (Association de l’Océan Indien pour la Coopération Régionale), de l’UA (Union Africaine), de la COMESA (Marché commun de l’Afrique Orientale et australe), de la SADC (Communauté de Développement d’Afrique Australe), de la COI (Communauté de l’Océan Indien) et de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Souveraineté nationale oblige, ces institutions sont censées fonctionner selon le principe de subsidiarité, qui veut que les compétences des groupements d’ordre supérieur se limitent aux tâches que les groupements d’ordre inférieur ne peuvent faire par eux-mêmes.
L’implication de la CI dans la sortie de crise à Madagascar a eu lieu dès 2009, par le biais du Groupe International de Contact (GIC) et de la médiation des Nations Unies/OIF/Union africaine/SADC, s’accentuant au fil des ans pour se concrétiser dans la Feuille de route signée le 16 septembre 2011. Ce qui appelle une première observation : la Russie, la Chine, le Japon, l’Inde, le Brésil et bien d’autres n’y figurent pas, alors qu’ils pèsent d’un poids considérable dans les relations internationales. Ces pays se sont néanmoins alignés sur la position de la communauté internationale. Les États-Unis restent en marge et ne font pas mystère de leur opposition au régime de la Transition. Les points de vue de l’Union européenne sont flous et variables, ses membres tenant des positions divergentes. Même constatation pour l’UA, la SADC, l’OIF et la COI, dont la cohésion n’est pas évidente. Quant aux sanctions devant frapper Madagascar, rares sont les pays qui les appliquent réellement.
Près de quatre ans après le début de la crise, que veut la CI ? Que signifient pour elle le retour à la légalité et la reconnaissance internationale, dans le respect de la souveraineté de Madagascar ? Pour gérer la crise, les Nations Unies ont mandaté l’Union Africaine, laquelle a mandaté la SADC, laquelle n’a pas pu (ou n’a pas voulu ?) trouver la solution. Pour une fois unanimes, l’opinion publique et la classe politique ne cessent de dénoncer ses atermoiements, illustrés par le dernier communiqué du 3 novembre 2012. Une ambigüité qu’illustre le discours prononcé le 3 octobre dernier par le Chargé d’Affaires de l’Allemagne : « Nous sommes disposés à apporter notre soutien international aux élections, mais la volonté doit être malgache, la motivation doit être malgache et l'engagement doit être malgache. Quant aux décisions, elles doivent être prises en accord avec la communauté internationale ». En d’autres termes, la volonté, la motivation et l’engagement aux Malgaches, les décisions à la CI ? Étrange 1.
Les véritables enjeux
Chacun connaît l’origine du blocage, mais personne ne l’évoque ouverte-ment : il s’agit de la candidature à l’élection présidentielle des deux protagonistes, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina. Or la Feuille de route indique deux issues apparemment contradictoires, mais foncièrement complémentaires si on les met en perspective. Au lieu de quoi, chaque camp s’est emparé de ce qui va dans son sens, et fait mine d’ignorer ce qui contredit son point de vue.
Les pro-Ravalomanana invoquent l’article 20 : « La Haute Autorité de la Transition (HAT) devra permettre à tous les Citoyens Malgaches en exil pour des raisons politiques de rentrer à Madagascar sans conditions, y compris Monsieur Marc Ravalomanana. La HAT devra fournir la sécurité à tous les exilés malgaches rapatriés. La HAT devra développer et promulguer d’urgence les instruments juridiques nécessaires, y compris une loi d’amnistie, afin d’assurer la liberté poli-tique de tous les citoyens Malgaches dans le processus inclusif de transition, dé-bouchant sur la tenue d’élections libres, justes et crédibles ».
Les pro-Rajoelina par contre se réfèrent à l’article 45, note explicative du terme «sans conditions» utilisé par l’article 20 et «partie intégrante de cette même Feuille de Route» :
« 1. Les principes et valeurs de la SADC n’acceptent pas l’impunité. Le terme ‘‘sans conditions’’ s’applique à la notion de liberté de rentrer à Madagascar pour tous les citoyens malgaches en exil pour des raisons politiques. Cela implique qu’aucune mesure administrative et politique ne devrait être appliquée pour restreindre ou empêcher leur liberté de rentrer au pays.
2. Ainsi, ‘‘sans conditions’’ ne suggère et n’implique pas pour les citoyens malgaches rapatriés une exonération de poursuites judiciaires ou pour des crimes allégués.
3. Les principes et les valeurs de la SADC reposent sur le respect de l’intégrité territoriale et la souveraineté des États membres. La SADC reconnaît et respecte la compétence, la légitimité et l’indépendance des systèmes judiciaires de ses États membres. La SADC n’a pas le pouvoir de s’ingérer ou d’annuler quelque condamnation judiciaire par le tribunal national de tout État membre.
4. La SADC ne définit pas et ne détermine pas l’étendue et le contenu des lois d’amnistie des États membres. Il est du ressort des autorités compétentes de ses États membres de débattre et de s’accorder sur leurs lois d’amnistie en prenant compte des normes internationales applicables qui excluent de l’amnistie les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les violations graves des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».
Si l’on veut donner de la cohérence à ces deux articles, ils disent que Marc Ravalomanana a le droit de revenir à Madagascar, et que nul n’est autorisé à l’en empêcher ; mais que s’il revient, il s’expose aux condamnations dont il a fait l’objet, la SADC reconnaissant « la compétence, la légitimité et l’indépendance » du système judiciaire malgache. Il peut toutefois demander que le procès soit refait en sa présence puisqu’il a été condamné par contumace (en son absence) et par une juridiction incompétente. Jugé en tant qu’ancien président de la République, Marc Ravalomanana était passible de la Haute cour de justice, malheureusement jamais mise en place, et non d’une juridiction ordinaire.
Une solution malgacho-malgache
Pour sortir de l’impasse, dont beaucoup se satisfont parce qu’ils sont membres d’institutions pléthoriques dites « de consensus » et en tirent des avantages auxquels ils n’auraient normalement pas droit, une issue s’impose.
Vus la complexité des dossiers et les recours possibles, les démêlées judiciaires de Marc Ravalomanana pourront durer des années avant d’être dénouées. Ce qui devrait l’empêcher, en toute hypothèse, de se présenter à la prochaine élection. La logique voudrait donc qu’il se rallie à l’évidence, sans avoir à y être contraint. Et le pouvoir de Transition, toutes institutions d’union nationale con-fondues, s’honorera en organisant un procès mené avec impartialité et transparence. Dans ce but, le SeFaFi propose que soit constitué un tribunal spécial, assisté par des experts de la CI qui garantiront la tenue d’un procès équitable, dont le verdict serait acceptable sur le plan national et international. Peut-être faut-il relancer l’idée de la mise en place d’une Haute cour de justice de la Transition, dont l’idée avait déjà été discutée lors des négociations du Carlton en 2009.
Par ailleurs, la Charte Africaine de la Démocratie spécifie que « les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur État » (Art. 25,4) 2. Il s’agit de l’application du principe numéro 16 de l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine : « condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernements ».
Cette interdiction rejoint la promesse maintes fois réitérée par Andry Rajoelina de ne pas se présenter à l’issue de la Transition. Elle correspond également à la proposition qu’il aurait faite lors de la rencontre des Seychelles en août dernier (aux dires de certains membres de la SADC), de renoncer à sa candidature si Marc Ravalomanana renonçait à la sienne. Ce faisant, il donnera un exemple de civisme qui rejaillira sur le pays autant que sur sa propre personne. Cette solution serait, en outre, particulièrement appréciée par la population. Lors des ateliers qu’il a récemment organisés dans plusieurs villes, le SeFaFi a pris la mesure de l’attente des citoyens, et de leur soif de voir émerger de nouveaux acteurs politiques 3. Y a-t-il meilleur exemple à donner aux citoyens, que celui d’un retrait volontaire des deux protagonistes de la crise ? Pareille attitude constituerait un précédent inestimable en faveur du renouvellement de la classe politique, souhaité par la population, à tous les échelons du pouvoir.
Enfin, cette issue consensuelle offrira une porte de sortie honorable à Marc Ravalomanana autant qu’à Andry Rajoelina. En faisant passer l’intérêt général de la nation avant leurs ambitions personnelles, ils resteront les artisans du dénouement de la crise, tout en faisant preuve de sagesse et de patriotisme…
1 Le SeFaFi a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet : « Questions à nos bailleurs de fonds », communiqué du 27 mai 2005. Cf. Une société civile sans interlocuteurs, déni de bonne gouvernance ?, SeFaFi, 2006, p. 12-23.
2 L’alinéa 5 de cet article s’applique également à Marc Ravalomanana, qui a démissionné en faveur d’un Directoire militaire : « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement peuvent être traduits devant la juridiction compétente de l’Union ».
3 Impunité, amnistie et réconciliation. Bilan des ateliers du SeFaFi, 7 novembre 2012.
SeFaFi, Antananarivo, 28 novembre 2012
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