Grand événement dans le monde de la photo à Madagascar. Dans le cadre du mois de la photo, initié par SAR'nao (litt. en malgache: vos photos), Daniel Rakotoseheno alias le photojournaliste, Dany Be, expose au Centre germano-malagasy (CGM) à Analakely, jusqu'au 26 novembre 2012.
12/11/2012, CGM. Elia Ravelomanantsoa et Dany Be. Cliché en noir et blanc très... rétro. Pour la postérité
Le connaissant depuis mon adolescence, je suis persuadé que Dany Be, n'aurait pas quémander cette médaille de Chevalier des Arts et des Lettres, remise par la ministre Elia Ravelomanantsoa, le 12 novembre 2012. Mais, à 79 piges, mieux vaut l'accepter pour éviter le titre à... titre posthume.
Le petit homme à moustache, à droite, c'est Dany Be dans les années 1960, à côté du ministre des TP d'alors, Eugène Lechat
Lucien Rajaonina, Dany Be, Pierrot Men et moi-même, avons la même philosophie : il n'y a pas de mauvais appareils, il n'y a que de mauvais photographes. L'oeil, on l'a ou on ne l'a pas. En matière de photographie, comme le dit le slogan de Paris Match, il y a le poids des mots et le choc des photos. Par ailleurs, une image valant mille mots, les clichés en noir et blanc de Dany Be n'ont pas besoin de légende.
Dany Be a vraiment un air de Père Rémi Ralibera (voir plus bas)
En fait, l'inoxydable Dany est le témoin vivant des périodes troubles que le pays à traversé, avant le retour de l'indépendance jusqu'en cette année 2012. Toutes ses photos ont été prises avec des appareils à pellicule et jamais recadrées. Actuellement, il ne veut pas se poser en donneur de leçons à la jeune génération. Aussi, c'est à travers la définition du photographe Matthieu Alexandre que je vais parler, ici, de ce qu'est le fameux photojournalisme, qui n'a rien à voir avec une photo d'illustration pour un texte.
CLIQUEZ ICI POUR L'INTERVIEW DE DANY BE, LE 13 NOVEMBRE 2012
Photojournalisme est composé de deux termes “photo” et “journalisme”
Pour la racine du “journalisme”, je convoquerai Albert Camus, de dire : “ (Il s’agit) d’informer bien au lieu d’informer vite. Les quatre commandements du journaliste libre (sont)/…/ la lucidité, l’ironie, le refus et l’obstination. La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. /…/ L’ironie : une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l’est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l’intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme /…/ Le Canard enchaîné puisse(nt) publier régulièrement les courageux articles que l’on sait. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu’elles ont peu d’amants. (Pour ce qui est du refus) Un journal(iste) libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas. Cette attitude d’esprit brièvement définie, il est évident qu’elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d’obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d’expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l’effet contraire à celui qu’on se propose. Mais il faut convenir qu’il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l’inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L’obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l’objectivité et de la tolérance. Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu’au sein de la servitude. Camus poursuit sa charte de l’information, garante de la démocratie pour peu qu’elle soit ” libérée “ de l’argent. (Albert Camus, 1939)
Pour la “photographie”, j’emprunterai à Claude Lévi-Strauss ses propos sur la peinture, lorsqu’il écrit : “Quand Diderot exige de l’artiste deux qualités essentielles /…/ la morale et la perspective, il raisonne sur la peinture comme les amateurs en son temps raisonnaient en musique : Dans toute imitation de la nature, il y a le technique et le moral. /…/ Il y a deux sortes d’enthousiasme : l’enthousiasme d’âme et celui du métier. Nous ne portons plus aujourd’hui une attention égale à la forme et au sujet. Ce qui nous intéresse est moins ce que le tableau représente, que comment le peintre à choisi de représenter une scène. (Claude Lévi-Strauss, 1993)
Monja Jaona, père de Monja Roindefo et Didier Ratsiraka
Richard et Bao Andriamanjato avec le Père Rémi Ralibera
Ces clichés en noir et blanc, tiré en 30X40 ont été pris entre le début des années 1960 et le début des années 1990. C'est un trésor de l'Histoire poltique de Madagascar que Dany Be fait découvrir aux générations actuelles et à venir. Man ! Ton oeuvre te survivra aux siècles des siècles.
==============================================
Dany Be par Christiane Rafidinarivo
Christiane Rafidinarivo est enseignante-chercheur et experte en relations internationales
Pourquoi es-tu devenu photographe ?
Dany-Be : Pour témoigner.
Es-tu célèbre ?
DB : Prison, violences, expositions, Afrique, Madagascar, Gamma, Sygma, oui, si tu veux.
Que photographies-tu au juste ?
DB : L'histoire qui se fait, une certaine chronique sociale, les non-dits, ce qui interpelle de manière cruciale.
Madagascar ?
DB : Madagascar. D'autres choses aussi mais Madagascar. Si. Les événements, l'histoire. Si.
Pourquoi vos photos sont-elles appréciées ?
DB : Sont-elles appréciées ? Je pense surtout aux jeunes photographes. J'épaule les associations, je voudrais avec d'autres créer une Maison de la Photographie. Il y a seulement neuf photojournalistes à Madagascar. Mais il y a, rien qu'à Antananarivo, plus de 250 photographes professionnels, et autant à Tamatave par exemple. Beaucoup d'associations aussi. Partout, jusque dans les petits villages, il y a un studio photo, parfois de fortune dans un coin d'épibar (1) ou de gargote.
La diffusion des photos ?
DB : Tu te rends compte si de toutes les photos qui se font dans le pays, et il y en a de plus en plus, pouvaient circuler ? Des expositions itinérantes de fivondronana en fivondronana (2) ? Les Malgaches se verraient les uns les autres. Ils vivraient autrement cet espace. Au lieu de cela, ça reste dans les malles familiales. La photo malgache ne se montre toujours pas malgré la fin des années, (siècles ?), d'underground politique pour cause de censure. Et les photographes hésitent toujours à exposer leurs photos. Ils ont honte.
Honte ?
DB : Ecrasement de siècles de censure sur l'image. On n'est même plus sûr de notre image.
Quelle est l'image photographique de Madagascar ?
DB : L'exotisme insulaire. La misère. Les commandes institutionnelles qui font les images officielles.
Africultures – n°55
1. Epicerie-Bar
2. Communautés de base. Il y en a plusieurs dans une commune
(firaisana)=======================================================
A présent, ceux qui sont à Antananarivo peuvent aller au CGM, à la rencontre de cet homme au physique d'un Père Rémi Ralibera. Mais en plus... caustique. Et Dany Be est également une source d'anecdotes intarissables. Dites-lui de vous raconter notre aventure commune avec Latimer Rangers, en 1993, dans le Sud profond, ce que j'ai appelé le Royaume du Kéré.... Attention, l'exposition s'achève le 17 novembre 2012.
Jeannot RAMAMBAZAFY
Photos: Harilala RANDRIANARISON