Pascale Jeannot
Kolo Roger, 22 avril 2014, cérémonie de passation de service avec Olga Vaomalala Ramaroson, à Ambohidahy.: « Nous allons construire un nouvel hôpital pour les patients n’ayant pas les moyens de se soigner à l’île de La Réunion et à l’étranger. Cet hôpital sera spécialisé dans le soin des maladies des reins, du cœur et celles du cerveau ainsi que de la boite crânienne ».
Lettre Ouverte à Monsieur Kolo Roger, Premier Ministre, Ministre de la Santé
Monsieur le Ministre,
Le 22 Avril 2014, lors de la passation de pouvoir au Ministère de la Santé, vous avez solennellement déclaré vouloir lancer la construction d’un nouvel hôpital destiné à la fourniture de soins d’urgence à Antananarivo.
L’argument, légitime et généreux en soi, que vous avancez pour appuyer ce projet est la nécessité de prendre en charge les malades qui, faute de moyens matériels, ne peuvent pas bénéficier d’une évacuation vers les structures médicales modernes de la Réunion, quand l’urgence et la complexité de leur traitement, ne peut avoir de réponse localement faute de moyens et d’infrastructures ad hoc.
Je ne suis certainement pas la seule à être heureuse que ce problème de l’accessibilité au plus grand nombre de services d’urgence de qualité que seule l’évacuation sanitaire à l’étranger pouvait satisfaire, ait enfin à Madagascar l’audience qu’il exige.
Le cas d’actualité de la petite Valencia, qui doit subir une greffe délicate du foie, illustre bien l’enjeu du développement de ces capacités de traitement locales de haut niveau. Malgré la visite de la représentante de la Première Dame de la République de Madagascar, de députés et d’autres autorités locales, et malgré une diffusion sans pareille dans les médias à malgaches et les réseaux sociaux de l’appel au secours émis par la famille en détresse, aucune solution n’a pu aujourd’hui encore être émise pour assurer la survie de cette petite fille. Et pour un cas médiatisé tel que celui de Valencia, on sait que les cas équivalents qui restent sans réponse se chiffrent par milliers.
Monsieur le Ministre, nous soumettons, toutefois, à la sagacité de votre jugement ces quelques réflexions.
Les hôpitaux « manara-penitra » ont été construits de manière coûteuse aux normes européennes. Des structures de santé solides récentes et plus anciennes existent à Madagascar. Nous disposons de personnels de santé à la compétence avérée. De fait, l’urgence n’est-elle pas de mettre en place, au sein de ces structures, les plateaux techniques qui y font défaut ?
Les enjeux d’une imagerie médicale de pointe à Madagascar doivent vous tenir particulièrement à cœur, de par votre propre parcours médical et votre spécialité: la radiologie. Ne serait-il pas ainsi pertinent et urgent de se préoccuper d'équiper les infrastructures existantes, dont les « manara-penitra », en matériels d’imagerie modernes, et faire en sorte que les services d’urgence de ces hôpitaux et des structures de santé puissent répondre au mieux à leur mission locale?
L’humanisation des hôpitaux et l’humanisation des soins par la formation, l’éducation, la sensibilisation aux logiques d’éthique et de responsabilité, là où elles font défaut, la consolidation des compétences des personnels de santé sur des sujets dramatiques tels que la prise en charge de la douleur, n’est-elle pas en soi une autre urgence cruciale ?
Monsieur le Ministre, à travers le lancement de la construction d’un nouvel hôpital destiné aux urgences sanitaires, ne risque-t-on pas de négliger encore un peu plus la fourniture de soins de proximité dans les régions et les zones enclavées ? Comment un patient sujet d’un accident vasculaire cérébral (AVC) à Ifanirea dans la région Vatovavy Fitovinany, pourra-t-il venir sur Antananarivo (pour peu que sa famille en ait les moyens et la volonté) après avoir parcouru 700 kilomètres en taxi-brousse et « filanjana » (Ndlr : chaise à porteur) ?
Les moyens conséquents qui vont être mobilisés pour assurer le lancement d’une nouvelle unité centralisée de soins d’urgence ne seraient-ils pas mieux utilisés à travers une meilleure répartition équitable de ces investissements, entre équipement des plateaux techniques des structures de santé régionales et locales, programmes de formation de médecins experts malgaches, et programmes d’échanges et de jumelage entre structures médicales et structures de pointe de recherche étrangères et malgaches ?
L’ambition légitime d’une unité de traitement prestigieuse de soins d’urgence centralisée ne risque-t-elle pas de sacrifier la vision pragmatique d’une politique de santé publique responsable qui doit se préoccuper d’optimiser le fonctionnement des infrastructures en place et l’expertise de nos personnels de santé à la forte compétence ?
Monsieur le Ministre, une vision claire, pragmatique et ambitieuse de nos priorités de santé publique et de leur prise en charge n’est-elle pas indispensable ? Ne s’agit-il pas de l’image et du rayonnement de notre pays qui pourrait devenir un modèle dans l’Océan Indien, en termes de mise en œuvre d’une politique de santé publique répondant enfin aux Objectifs du Millénaire et aux enjeux de la lutte contre la pauvreté ? La poursuite de ces objectifs relève-t-elle de la mise en place, probablement dispendieuse, d’une unité centrale supplémentaire, ou bien de la généralisation sur l’immensité de notre territoire de soins de qualité et de proximité ? Cela ne devrait-il pas être la ligne tenue par un gouvernement responsable et soucieux du bien-être du plus grand nombre et de la meilleure gestion des deniers publics ?
Exemples de coûts inaccessibles au commun des Malgaches: la population majoritairement démunie
Pour illustration, à  l’heure où il est question de gouvernance, de gestion d’urgences et de priorités, à la veille de la célébration de la journée internationale de lutte contre la Drépanocytose (Ndlr: 19 juin), le Centre de prise en charge de la drépanocytose de Manakara, construit il y a un an, voit son existence et son fonctionnement remis en question faute de moyens et d’implication de vos services de santé locaux. Ce problème crucial de santé publique qui affecte de manière dramatique les plus nécessiteux dans une région à près de 20% de prévalence où un enfant sur cinq souffrant d’un syndrome drépanocytaire majeur est susceptible de ne pas survivre au-delà de l’âge de 5 ans, ne peut plus souffrir de demi-mesures. Il illustre à lui seul, parce qu’il s’agit d’une maladie transversale intéressant toute les spécialités médicales, l’exigence d’une prise en compte urgente de votre part de ces logiques de santé de proximité.
Je tiens à vous remercier, Monsieur le Ministre, de l’intérêt que vous voudrez bien apporter à ces questionnements en espérant que vous n’y verrez que ma volonté d’apporter un regard sur un sujet qui nous tient tous à cœur, à savoir : la santé et la vie de nos compatriotes et en particulier des plus démunis,
Et vous prie d'agréer l'assurance de ma très haute considération.
Pascale Jeannot
Présidente de l’ONG LCDMF - Lutte Contre la Drépanocytose Madagascar
Initiatrice du Programme SOLIMAD*
A l’initiative du lancement de la Politique Nationale de Lutte Contre la Drépanocytose à Madagascar
Samedi, 10 Mai 2014
*SOLIMAD regroupe toutes actions menées en faveur de la lutte contre la drépanocytose à Madagascar par l’ensemble des partenaires (Institutions, Associations, Financeurs, ONG, Scientifiques, Médias...).
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« La drépanocytose est virulente, douloureuse et la cohabitation quotidienne avec elle demande de la patience et surtout de la ténacité. Grâce au programme SOLIMAD nous avons réussi à « valoriser » les complications de la maladie en rendant ce programme transversal. La drépanocytose est suffisamment complète pour qu’elle ne reste plus isolée dans sa prise en charge. Ce n’est pas une problématique locale, régionale ou nationale, c’est une problématique internationale qui nous concerne tous ».
Pascale Jeannot (Journée internationale de lutte contre la Drépanocytose 2013)