Il y a 32 ans, le 11 février 1975, le colonel de gendarmerie Richard Ratsimandrava tombait sous les balles d’un commando dirigé par Zimbo lui-même tué au cours de cette embuscade à Ambohijatovo Antananarivo. L’heure n’est donc plus à se demander QUI a tué Ratsimandrava mais POURQUOI l’a-t-on assassiné ? Depuis fort longtemps, j’ai toujours plaidé pour un complot à base d’intérêts plus économiques que politiques. Certains avancent des noms. Voici ma propre thèse. Ma « fiction » serait-elle conforme à la réalité de l’époque ou bien Ratsimandrava n’aura été qu’un martyre de plus ? Voire...
Pas un mystère mais une conspiration
En 1975, il n’y avait pas de portables ni Internet donc pas de communications ni d’informations en temps réel. En ce temps-là , tout était quasiment permis avec cette culture malgache qui n’admet pas que l’impossible puisse se produire (le cas du Rova incendié en 1995 cassera cette croyance). Personnellement, c’est à Paris, alors jeune étudiant de 21 ans, que j’ai entendu l’assassinat de Ratsimandrava, grâce à Rfi. Ce qui suit est ce que j’ai écrit dans le quotidien Madagascar Tribune du 12 février 2004. 11 février 1975-11 février 2004. Cela fait 29 ans que le colonel de gendarmerie Richard Ratsimandrava, chef de l'Etat et du gouvernement malgache et ministre de la Défense nationale et du Plan - après que le général Gabriel Ramanantsoa lui ait remis les pleins pouvoirs, le 5 février 1975 -, a été froidement assassiné. Eléments de réouverture du dossier.
Devoir de mémoire
Les bras armés de cette élimination physique sont des membres d'un commando formé d'éléments du groupe mobile de police (GMP) dont le tristement célèbre Zimbo tué lors de l’embuscade à Ambohijatovo. Actuellement, la question ne doit plus être : qui a assassiné Ratsimandrava mais POURQUOI l'a-t-on assassiné ? Qui avait intérêt à le faire disparaître de manière aussi rapide et durable ? En fait, des tas de personnes et personnalités étaient gênés par sa présence au sommet de la Nation. C'est pourquoi, c'est sans ambages que nous osons écrire que conspiration il y avait. Nous tenons à signaler que nous n'avancerons que des hypothèses glanées à travers des investigations minutieuses, sans fioriture. Il s'agit, ici, d'un devoir de mémoire, pour que le dossier Ratsimandrava ne soit jamais fermé.
L’affaire JFK
Nous prendrons, comme référence de base, le “cas” du président des Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy, assassiné à Dallas, le 22 novembre 1963. Le Terrien moyen ne saura jamais l'exacte vérité, étant donné qu'il s'agissait d'un complot à l'intérieur même de hautes sphères américaines. Par ailleurs, peu de gens, en Amérique et de par le monde, croient que l'assassinat de son frère, le sénateur Robert "Bob" Francis Kennedy, ait été une "coïncidence"... En effet, en 1968, Bob Kennedy se présente aux primaires, afin d'être candidat démocrate à la présidence des Etats-Unis contre Lyndon Baines Johnson qui assura la transition. Il remporte la victoire aux primaires en Californie, ce qui le conduisait tout droit à la candidature. Mais il se fait assassiner le 5 juin, le soir de sa victoire par Sirhan-Sirhan. Le film "JFK" (1991) d'Oliver Stone fait allusion à tous ces faits, à travers la réouverture du dossier Kennedy, au péril de sa vie, par le procureur de la Nouvelle-Orléans, Jim Garrison. "La plus grosse conspiration que l'Amérique n'a jamais connu", où sont impliqués la Cia, le Fbi, la mafia, les républicains, le bloc communiste de l'époque, les Cubains, jusqu'au président Lyndon Baines Johnson qui succèdera à Kennedy jusqu'en 1968 (co-listier démocrate de celui-ci en 1961, Johnson a été réélu en 1964 mais ne s'est plus présenté en 1968. Il décède le 22 janvier 1973).
Trop de groupes de pression...
Pour Richard Ratsimandrava, il est aussi impensable qu'une seule personne ait pu décider de son élimination. Mais quel était le MOBILE ? A la suite de cet horrible assassinat, a été créé un comité national de direction militaire (Directoire) présidé par le général Gilles Andriamahazo. Ci-après les diverses hypothèses à réétudier. Première piste : nommé à la tête de la gendarmerie, Ratsimandrava a commandé la répression contre l’insurrection paysanne d’avril 1971 dans le Sud de l’île, sous l’impulsion de Monja Jaona, leader charismatique du parti MONIMA et père du candidat du 3 décembre 2006 Monja Roindefo. Les médias français avaient alors parlé de « jacquerie »… Seconde piste : nommé ministre de l’Intérieur du gouvernement Ramanantsoa, Ratsimandrava avait élaboré la doctrine du "fokonolona" comme seul cadre institutionnel et économique possible du développement à Madagascar, avec malgachisation de l'économie sans inégalité et décentralisation des pouvoirs. Il y avait même une émission spéciale explicative à ce sujet sur les ondes de la radio nationale. Troisième piste : depuis la colonisation, était ancrée dans les esprits la notion que le président de la République malgache ne pourra jamais être un originaire des hauts-plateaux. Ratsimandrava l'était, mais de la caste "Hova" comme le Premier ministre Rainilaiarivony... Quatrième piste : du long procès -une mascarade- qui se déroula sous le Directoire militaire, aucune lumière n'a été faite sur l'assassinat de Ratsimandrava. A cette époque, le général Roland Rabetafika avait déclaré : "L'assassin n'est pas présent dans cette salle...". A ce procès, Philibert Tsiranana (ancien chef d'Etat), André Resampa (ancien ministre de l'Intérieur et Vice-premier ministre) et Bréchard Rajaonarison (commandant du GMP ayant fait une reddition) étaient parmi les inculpés de "gros calibre". Ils seront tous acquittés. Cinquième piste : parmi les membres de ce Directoire militaire, qui a succédé à Ratsimandrava, après la période transitoire ? Et de quelle manière ? Aucun mystère à ces sujets...
Assassiné pour rien ?
Le 21 décembre 1975, le Directoire militaire est remplacé par un Conseil supérieur de la révolution (CSR). Actuellement, ceux qui ont vécu à l'intérieur même de cette "affaire" se comptent sur les doigts de la main, n'étant pas tous morts de façon naturelle... Bref, beaucoup trop de groupes de pression ayant d’énormes intérêts, financiers surtout, pouvaient souhaiter voir Richard Ratsimandrava disparaître, craignant de voir leurs intérêts fortement remis en question. Actuellement, le paysage politico-social a beaucoup changé à Madagascar. Il existe sûrement, quelque part, des gens ayant des débuts de réponse précis pour axer de nouvelles recherches sur une des pistes citées. Mais oseront-ils se débarrasser de leur lourd secret pour ne pas l'emporter dans leur tombe ? Une chose est sûre alors : 32 ans après, leur silence indique que des risques mortels subsistent encore et toujours. Quoi qu’il en soit, en cette année 2007, beaucoup de personnes impliquées directement ou indirectement par cet assassinat sont décédées depuis. Et, avec la nomination du général Charles Rabemananjara au poste de Premier ministre, il apparaît que Richard Ratsimandrava aura été assassiné pour rien. En effet, sous-lieutenant en 1975, le PM Rabemananjara, déjà originaire des hauts-plateaux fait partie du corps de la gendarmerie, comme Ratsimandrava dont la doctrine du développement à partir « fokonolona » et du « fokontany » est devenue une priorité, le fer de lance du développement. Grosso modo, il s’agit de faire participer les habitants des 17.500 « fokontany » (quartiers) de Madagascar dont les chefs, nommés et non plus élus, dépendent désormais du Président Marc Ravalomanana qui est originaire des hauts-plateaux également et entame un second mandat. Quant aux intérêts économiques de la France, malgré leur place de n°1, avec 600 entreprises tous secteurs confondus, ils commencent durement à être malmenés par ceux des Anglophones et des Chinois. A ce stade, à qui profite ce crime en ce IIIème millénaire ?
DIDIER RATSIRAKA
Un président "référendaire" a qui ce crime a longtemps profité
Le 11 février 1975, moins de deux heures après l'assassinat du Colonel Richard Ratsimandrava, un Directoire militaire composé de 18 officiers, issus des différents corps de l'armée, est créé pour combler le vide au sommet de l'État. Cette même institution cautionnera, quatre mois après, le 15 juin 1975, la prise de pouvoir du capitaine de frégate Didier Ratsiraka par un vote "secret" de ses membres.
Bien que ne faisant plus partie du gouvernement constitué par le colonel Ratsimandrava en février 1975, Ratsiraka (ancien ministre des Affaires étrangères sous Ramanantsoa avec le grade de capitaine de corvette) devint membre du Directoire militaire au sein duquel il était le seul homme politique expérimenté qui pouvait prétendre avoir un soutien populaire et une réputation nationale. Il faut avouer que ce brillant officier s'était préparé, depuis fort longtemps, en France, à accéder au pouvoir mais il a perdu de vue qu'il faut aussi savoir gérer ce pouvoir...
A l'époque, sa stratégie, très militaire, consistera à former autour de sa personne, dans le Directoire militaire, un groupe "socialiste" et indépendant et à essayer de neutraliser, tant à sa gauche qu'à sa droite, ceux qui peuvent s'opposer à lui ou le concurrencer pour le pouvoir. Ayant ainsi rassemblé une minorité décisive, Ratsiraka fera pencher ses votes vers l'une ou l'autre des parties du Directoire, augmentant de ce fait le nombre de ses supporters jusqu'à ce qu'il contrôle la majorité des voix et contraigne le "centre droit" et le "centre gauche” à le rejoindre inconditionnellement.
Dès fin mai 1975, Ratsiraka obtint ainsi une majorité alors que le Commandant Soja, le plus fortement "ratsimandraviste" des membres du directoire, et le général Gilles Andriamahazo se sont vus dans l'incapacité d'accroître le nombre des voix qui leur étaient favorables. Le 26 août 1975, après avoir rédigé et fait publier la "Charte de la révolution socialiste malgache", Didier Ratsiraka, à l'issue d'une campagne référendaire, fait approuver sa nomination à la Présidence de la République de Madagascar par 94,66 % des suffrages exprimés.
La suite, on la connaît... Hasard, coïncidence, opportunisme, coup (d’Etat) longtemps fomenté ? En tout cas, son trop long règne aura instauré la démocratisation de la mendicité, de la corruption et l’extension inouïe du secteur informel dicté par la contrainte des Malgaches à vivre au jour le jour, sous le joug d’un système policé à outrance. Du coup, deux générations de Malgaches ont perdu toute notion d’identité culturelle, de fierté nationale et de discipline. Pour rattraper tout cela, deux décennies ne suffiront pas, quel que soit le président en exercice. Redresser tous ces torts constituent vraiment l’affaire des Malgaches où et qui qu’ils soient. Or, à l’heure où Madagascar n’est plus qu’une partition à trois notes (M, A et P) dans le concert terrestre et terrien, il y en a qui rêvent encore d’entonner la « sociale démocratie ». Réveillez-vous, bon sang !
Jeannot Ramambazafy
Journaliste