SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
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SeFaFi
Observatoire de la Vie Publique
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HALTE A L’IMPUNITE
Plus que toute autre, une période de transition se prête aux rumeurs, surtout lorsque les responsables ne savent pas ou ne veulent pas communiquer dans la transparence. Habituellement, la rumeur colporte des faux bruits, elle désinforme, manipule ou dénigre. Pourtant, elle peut diffuser parfois des informations véridiques, dès lors qu’il s’agit de sujets sur lesquels il ne sera donné ni confirmation ni démenti officiels : trafics en tous genres (bois de rose, pierres précieuses, or, etc.), abus de biens sociaux, détournements d’argent public et, plus largement, tout acte de corruption.
Des pratiques condamnables devenues banales
Le SeFaFi n’a cessé d’attirer l’attention sur les prélèvements abusifs de l’argent public et les détournements de tout genre. L’un de ses premiers communiqués, en date du 13 juillet 2001, traitait de « l’immunité parlementaire »[1]. En 2003, il s’est insurgé contre la corruption[2]. Puis trois communiqués successifs, entre mai et juin 2004, se sont inquiétés « du bon usage de l’argent public »[3]. Le 27 mai 2005, il s’en est pris à la complaisance des bailleurs de fonds face aux dénis de bonne gouvernance et au traitement préférentiel accordé par les pouvoirs publics aux entreprises du président Ravalomanana[4]. Le SeFaFi a repris le même grief le 14 juillet 2007, à propos d’une amnistie fiscale apparemment destinée à « une seule entreprise »[5] ; et l’année 2007 s’est achevée sur un constat analogue, daté du 27 octobre : « Détournements de deniers publics, entorses aux procédures budgétaires »[6]. En 2008 et 2009, c’est le manque de transparence des contrats miniers qui est stigmatisé[7], avant que n’éclate le scandale du trafic des bois de rose pendant ces mêmes années…
Au regard de ces années passées, il faut constater en premier lieu la permanence des pratiques délictueuses de la part de la classe politique. Car le phénomène ne se limite pas à quelques individus, il caractérise le comportement de la très grande majorité des hommes politiques - pas tous, il est vrai, on y rencontre de belles exceptions. À preuve, il ne se passe pas d’année sans que n’éclate un ou plusieurs scandales majeurs, qui mettent en cause les plus hauts dirigeants. Et ces délits se ramènent toujours à l’appropriation personnelle de l’argent public, par ceux qui ont la responsabilité de le gérer au nom des citoyens et pour le bien de la nation. Force est d’en conclure que la principale motivation des hommes et des femmes qui s’engagent dans la carrière politique est de s’enrichir en détournant l’argent de l’État. La raison d’être du politicien, en charge du bien commun de la nation, se voit ainsi contestée, voire niée. Le phénomène n’est pas prêt de régresser, les acteurs étant pour la plupart corrompus, et la population se résignant à ce qu’elle ne peut changer : les réflexions désabusées des citoyens, les dessins des caricaturistes et les sketchs des humoristes en disent long sur l’estime portée aux politiciens...
Un deuxième constat touche aux réactions de la dite « communauté internationale », institutions onusiennes et grandes ONG y comprises. Comment expliquer qu’il ait fallu en arriver à l’ébranlement de la fin 2008 pour que le FMI et la Banque mondiale reconnaissent, du bout des lèvres, que le précédent régime avait une fâcheuse tendance à confondre la caisse de l’État avec celle des entreprises du Président ? Les exigences de la bonne gouvernance ne sont-elle opposables qu’au régime de la transition, alors que le précédent s’en trouve exonéré en dépit de toutes ses carences en la matière ? A ce propos, le SeFaFi désapprouve fermement la partialité de la résolution votée par le Parlement européen le 11 février 2010. Pourquoi condamner aujourd’hui seulement les atteintes aux droits de l’homme dont Madagascar a été le théâtre depuis janvier 2009 ? Pourquoi éluder les responsabilités du précédent régime dans la genèse et la gestion de ces événements ? Et pourquoi imputer l’entière responsabilité de ce qui s’est passé au seul régime de la transition installé le 17 mars 2009, sans même une allusion aux autres acteurs de la crise ? Pareil procédé relève de la mauvaise foi ou de la désinformation, et ôte toute crédibilité à la résolution. Désormais, chacun sait ce que valent les leçons de démocratie venant du Parlement européen. Un constat analogue s’impose pour les Etats-Unis, dont la partialité dans cette crise relève de l’ingérence dans les affaires intérieures malgaches.
La troisième évidence est que l’impunité semble aller de soi, en dépit de la gravité des délits présumés, pour les politiques qui les ont commis. Il est incompréhensible, et scandaleux, que des personnes suspectées d’avoir détourné des milliards d’Ariary estiment qu’il faille n’en pas tenir compte, se scandalisent de toute action judiciaire à leur encontre, et exigent d’être amnistiés dès lors que la justice les condamne. Comment faire croire au citoyen qu’il est juste d’infliger de lourdes sanctions à un employé qui a volé un yaourt, un vêtement ou un article de consommation courante, alors que le politique qui détourne des milliards d’Ariary n’est pas inquiété ou, s’il l’est, revendique le droit d’être amnistié ? Ce n’est pas seulement le traditionnel « deux poids deux mesures » qui entre en compte ici. Nous sommes ne présence d’une culture de la corruption et de l’impunité profondément et durablement incrustée dans le monde politique : ses acteurs sont convaincus que tout leur est permis et qu’ils sont intouchables, quoi qu’ils fassent. Et tant que cette culture ne sera pas extirpée des conceptions et des pratiques politiques, le pays ne progressera pas.
La justice d’abord, l’amnistie après
Au cœur les discussions sur les structures de la transition, avant et après les différentes rencontres à Maputo et à Addis-Abeba, et chaque fois qu’il est question de la sortie de crise, certains hommes politiques reviennent systématiquement sur la question de l’amnistie. Pareille insistance est suspecte : ne sont-ils pas des justiciables comme tout autre citoyen ? En tout état de cause, il est impossible d’amnistier des faits qui n’ont pas été jugés. Le SeFaFi s’en est expliqué à deux reprises l’an passé, ce que les intéressés se sont bien gardés de relever[8]. Par ailleurs, l’amnistie ne peut être accordée que par une loi, et non par des arrangements en coulisse entre politiciens pressés de « s’auto-amnistier ». Il peut être utile, ici, de rappeler le sens précis de ces mots, pour sortir d’une approximation qui justifierait tout, et respecter les procédures prévues par la loi :
Amnistie : Acte du pouvoir législatif prescrivant l'oubli officiel d'une ou de plusieurs catégories d'infractions et annulant leurs conséquences pénales. L'amnistie ne peut être accordée que par une loi (à la différence de la grâce, mesure de clémence accordée par le chef de l'État).
Grâce : Mesure de clémence que prend le pouvoir social au profit d'un individu reconnu coupable et irrévocablement condamné (Donnedieu de Vabres). Le droit de grâce appartient au président de la République. La grâce peut prendre la forme d'une remise de peine ou d'une commutation de peine. [Dictionnaire Le Grand Robert] |
Dans ce débat, force est de rappeler non seulement que l’amnistie ne peut être accordée que par la loi, mais encore que toute amnistie porte sur des faits précis. Elle ne peut être ni générale (en couvrant par exemple les événements de telle ou telle année), ni indéterminée (en exonérant quelqu’un de tout ce qu’il a pu dire et faire en telle ou telle circonstance). A l’égard de tout citoyen, le processus de l’amnistie doit suivre les deux étapes suivant :
- - - Un procès qui établisse les faits incriminés, pour que le tribunal décide de l’innocence ou la culpabilité des prévenus ;
- - - Une loi d’amnistie élaborée par la prochaine assemble nationale, qui statuera sur « l’oubli officiel » d’infractions dûment qualifiées au préalable.
Reste la question régulièrement évoquée de l’immunité. Là encore, les politiques sont prompts à s’en réclamer, pour tenter d’échapper aux sanctions liées aux infractions commises. La forme la plus connue est celle de l’immunité parlementaire : elle touche à ce qui est fait et dit dans le cadre et pendant la durée du mandat parlementaire ; en matière criminelle et correctionnelle, l’immunité fait qu’une action judiciaire ne pourra être engagée qu’au terme du mandat. Il convient donc de s’interroger sur l’immunité dont pourrait se prévaloir un responsable politique suspecté d’avoir détourné de l’argent public, fait usage de faux ou porté atteinte à la vie d’autrui : en vertu de quel privilège serait-il au-dessus de la loi, qui précise par ailleurs que « nul n’est au-dessus de la loi » ? Cette pratique mènerait à instaurer deux justices, l’une pour les hommes politiques, l’autre pour le reste des citoyens, ce qui serait inacceptable.
Immunité parlementaire, accordée au parlementaire pour sauvegarder «  l'indépen-dance d'exercice (de son) mandat  » (Prélot), et lui assurant une protection contre les actions pénales exercées contre lui. Les immunités sont valables pendant la durée du mandat, en matière criminelle et correctionnelle, et sauf flagrant délit; elles peuvent être levées par la Chambre dont l'accusé fait partie (levée d'immunité). [Dictionnaire Le Grand Robert] |
Les innombrables rumeurs qui se diffusent dans l’opinion à propos d’agissements répréhensibles de la part des hommes politiques de ces dernières années sont fort préjudiciables à la démocratie que les citoyens souhaitent voir s’instaurer. Elles font perdre toute crédibilité à la classe politique, et renforcent la défiance, voire l’hostilité, chez les citoyens. Qu’il s’agisse de voitures de fonction que se sont attribués leurs utilisateurs, de per diem indument perçus, de frais de voyage excessifs, de commissions exigées pour des actes officiels, de pourcentages prélevés lors de commandes de matériels ou de signatures de contrats, l’éventail est vaste et l’imagination fertile.
Il existe pourtant un moyen relativement de vérifier si les responsables politique font bon usage de l’argent public : les signes extérieurs de richesse. Le procédé consiste à comparer ce que quelqu’un possède et dépense, avec ses revenus officiellement déclarés. De pareilles investigations apporteraient, à coup sûr, d’étonnantes révélations. Mais ne soyons pas naïfs, les politiciens ne sont pas suicidaires ! En attendant, qu’ils ne s’attendent pas à ce que les citoyens les croient sur parole et les prennent au sérieux.
Antananarivo, le 19 février 2010
[1] Voir le recueil Libertés publiques : les leçons d’une crise, SeFaFi, 2002, pages 50-65.
[2] « Comment lutter contre la corruption ? » (12 septembre 2003), « Eloge de la corruption » (5 décembre 2003) et « La corruption dans les zones rurales » (29 décembre 2003). Voir le recueil Entraves à la démocratie : démagogie et corruption, SeFaFi, 2004, pages 34-61.
[3] Voir le recueil Une démocratie bien gérée, décentralisée et laïque, à quelles conditions ? SeFaFi, 2005, pages 4-25.
[4] Voir le recueil Une société civile sans interlocuteurs, déni de bonne gouvernance ? SeFaFi, 2006, pages 12-23.
[5] « Amnistie fiscale : pour une publication rapide des textes officiels et une totale transparence ». Voir le recueil Élections et droits de l’homme : la démocratie au défi, SeFaFi, 2008, pages 36-39.
[6] Ibidem, pages 68-75.
[7] « Des ressources minières au profit de quels intérêts? » (9 juin 2008) et « Pour Une nouvelle politique minière à Madagascar » (6 novembre 2008) : voir le recueil À qui appartient l’État ?, SeFaFi, 2009, pages 44-55 et 74-79. Pour 2009 : « Des ressources minières au service du développement (29 mai 2009), à paraitre dans le Recueil Tourmente populaire et confusion politique, SeFaFi, 2010.
[8] Voir nos communiqués du 19 avril (« Réussir la transition ») et du 23 novembre 2009 (« La transition : rappel des vrais objectifs ») – à paraitre dans Tourmente populaire et confusion politique, SeFaFi, 2010.