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Madagascar : Air Force One stories

Janvier 2008. Marc Ravalomanana se croyait indéboulonnable, au summum de son pouvoir, assis sur un petit nuage. Sa chute sera rapide à cause de son mépris pour le peuple et -surtout- à cause d'une cour qui ne pensait qu'à se remplir les poches. A son insu ou avec sa complicité, c'est du pareil au même. Le grand défaut des dirigeants malgaches, c'est cette faculté à commettre ces mêmes erreurs amenant toujours à une déchéance inévitable. A moins de rectifier le tir à temps. Mais, encore une fois, le pouvoir corrompt et l'esprit et l'âme...

CLIQUEZ ICI POUR LA VIDEO DU DEPART DEFINITIF D'AIR FORCE ONE II

Le Boeing 737-700 baptisé Air Force One II a définitivement quitté l'aéroport d'Ivato, le 22 novembre 2012. En effet, son acquéreur, la société américaine Las Vegas Sands Corporation, cotée en bourse, a payé 24, 5 millions de dollars qui ont été transférés à la Banque centrale de Madagascar. Un prix réactualisé entrant dans les normes, vu l'âge et les diverses réparations effectuées sur ce jet longtemps entreposé dans un hangar de l'aéroport d'Ivato.

Histoires véridiques de deux jets de luxe dont l'un aura été le facteur de la chute de Marc Ravalomanana. Prévisible depuis 2006.

Septembre 2002. Marc Ravalomanana s’offre un Boeing 737-300 luxueusement aménagé en avion privé. Au-delà du débat sur l’opportunité d’une telle acquisition au moment où le pays sortait d’une longue crise qui avait laissé l’économie exsangue, des questions étaient restées sans réponse. Le manque de transparence sur le prix réel de cet appareil attestait d’une mauvaise gouvernance. 8 millions de dollars avaient été acquittés auprès de Lauda Air, la compagnie propriétaire de l’aéronef, alors que 11 millions de dollars avaient été décaissés de la Banque centrale. Aucune suite sur cette affaire... En tout cas, le 9 décembre 2010, ce Boeing 737-300 immatriculé 5R-MRM, connu sous le nom d'Air Force One I, a été remis par le pouvoir de transition -à titre gratuit- à la compagnie nationale aérienne Air Madagascar qui l'a aménagé en configuration TPP.

Haja André Resampa, SGP

Le Secrétaire Général de la Présidence de la Haute Autorité de la Transition, Haja André Resampa, a procédé, au nom de l’Etat Malagasy, à la signature du Protocole d’accord dont voici les conditions et modalités :

1. La durée initiale de mise à disposition : 2 ans à compter de la date de signature du Protocole d’accord dont il s’agit, renouvelable par tacite reconduction

2. Les conditions de réception et de retour: l’appareil étant sorti d’une grande visite, coûts à la charge de l’Etat, les coûts afférents au retour de l’appareil seront à la charge d’Air Madagascar

3. L’autorisation donnée, par l’Etat, à Air Madagascar de transformer l’appareil en configuration TPP

4. La prise en charge des coûts d’utilisation de l’appareil par Air Madagascar

5. La possibilité pour Air Madagascar de mettre l’appareil sous location, sous réserve de l’accord écrit de l’Etat Malagasy etmoyennant certaines conditions

6. La possibilité par l’Etat Malagasy d’utiliser ponctuellement l’appareilaprès un préavis d’une semaine et moyennant prise en charge des frais y afférents

7. L’obligation pour Air Madagascar de souscrire une assurance Corps et Responsabilité Civile, de maintenir la navigabilité de l’appareil pendant toute la durée de mise à disposition

8. La possibilité de résiliation du Protocole d’accord par l’Etat pour manquement aux obligations essentielles d’Air Madagascar ou pour des raisons justifiées par l’intérêt général.

Haja Nirina Razafinjatovo, avocat du diable avant Me Hanitra Razafimanantsoa

Décembre 2008. Marc Ravalomanana annonce l’achat d’un avion qui va remplacer le premier « Air Force One ». Arguments : "Pour ne pas perdre inutilement du temps". Et c’est lui-même qui déclare que ce second « Air Force One » a coûté 60 millions de dollars. Avec, en prime, cette phrase superbe du ministre Haja Nirina Razafinjatovo, alors Grand argentier : « L’achat relève de la souveraineté nationale. La moitié du montant, soit 30 millions de dollars, a été payée par les contribuables malgaches, l’autre moitié par le président de la république ».

Ajoutée à ces déclarations à-la-va-vite, celle de Ravalomanana, à Andohatapenaka : « J’ai donné la mission au ministre d’acheter cet avion pour que je puisse voyager plus loin et voir plusieurs partenaires qui nous aideront ». Comme çà, comme s’il avait acheté un 4X4 chez un concessionnaire du coin. Mais cela veut aussi dire qu'il a fait débloquer des fonds quelque part... Et un ordre de Ravalomanana ne se discute jamais, sinon... la prison !

Champagne pour cette acquisition digne d’un polar de haut... vol.

Le 5 janvier 2009, l’aéroport international d’Ivato est en effervescence. Il y a de quoi : Marc Ravalomanana et Madame, en présence obligatoire de tous les chefs d’institutions et tous les membres du gouvernement, vont réceptionner le nouveau « Air Force One ». Ce sera donc le second, après un 737-300 acheté à Lauda Air (appartenant au pilote de course autrichien Niki Lauda) pour 11 millions de dollars en septembre 2002... L’appétit vient en mangeant dit-on.

Exemple de configuration VIP d'un Boeing 737-700. Un luxe honteux devant la misère de tout un peuple

Cette pompeuse réception du nouvel avion présidentiel défraye la chronique. Aucun détail plausible n’a été fourni jusqu’à ce que le FMI exige des précisions sur les modalités d’acquisition de l’appareil. Plus tard, le ministre des Finances et du Budget, Haja Nirina Razafinjatovo, révèlera que la moitié du prix (soit environ 30 millions d’euros) a été financé sur un report de crédit non utilisé en 2008 et que Marc Ravalomanana s’est acquitté personnellement de l’autre moitié. En fait, Air Force One Two appartenait à Felham Enterprises Ltd, société qui avait été liée au nom de Walt Disney. Donc, un avion de seconde main, d'occasion. Or, voir ci-après, le coût d'un Boeing 737-700 FLAMBANT NEUF qui se situait entre  58,5 et 69,5 millions de dollars en 2008.



30 octobre 2008. Marc Ravalomanana, reçoit en audience en fin d’après-midi, au Palais d’Iavoloha, une délégation d’opérateurs économiques sud-coréens, conduite par le Président de Madagascar Future Entreprise, Kim Kwon Lin, accompagné du Président Directeur Général de Kores Resources Corporation, Kim Sihng Jong, du Président et CEO de Daewoo Logistics Corporation, Yong Nam Ahn, et enfin du Vice-Président de la compagnie Posco EC, Jeong Tae Hyun.

A la même époque, une facture d’un montant de 38 millions de dollars a été payée par Daewoo Logistic (DWL, une autre histoire de terrains qui a fait le tour de la planète), sans doute aux îles Caïmans. Curieusement, la Banque Centrale de Madagascar a opéré, en décembre 2008, un virement de 60 millions de dollars en France, soit l’équivalent de 112 milliards d’Ariary. Pourquoi donc, et à qui, la Banque centrale a-t-elle payé près du double de la facture, alors que le Chef de l’Etat s’était, dit-on, personnellement acquitté des 50 % ? Ici aussi, il semble qu'aucune suite n'a été faite, dans le tourment de la révolution orange qui allait poindre à l'horizon.

Alors, non seulement Marc Ravalomanana est un menteur mais, en prime, c'est un voleur de... haute voltige.

Mais quid de ce nouveau jet, alors  immobilisé ("stored") dans un hangar à Ivato ? Des recherches personnelles m'ont permis de monter assez loin et démonter un circuit digne d’un thriller cinématographique.

L’avion en question est un Boeing 737-74U(BBJ), âgé de 11 ans. Et là, déjà un énorme mensonge quant au montant. Je vous laisse le soin de traduire ce qui suit :

"The BBJ offers nearly three times the interior space of existing long-range business jets, yet is comparably priced. The price for an unfurnished or "green" airplane is $33.75 million (1998$). A completely furnished and equipped business jet will cost approximately $40 million to $45 million at delivery." Only the $33.75 million figure is for the "green" plane. The $40 million to $45 million is for "completely furnished and equipped" planes.

Le lien ci-dessous était encore accessible le 31 janvier 2010 au matin.

http://www.boeing.com/commercial.bbj/release090498.html

On ne voit nulle part le nom de Disney, annoncé comme de la poudre aux yeux. Cela a failli marcher

Au grand maximum donc, cet avion, neuf et équipé ne vaut pas plus de 50 millions de dollars. Or, il n’a jamais été neuf mais il s’agit d’un avion de troisième main. Air Shamrock d'abord, puis Felham Enterprises Limited ensuite avant d'atterrir dans la flotte maigrelette du gouvernement malgache.

IMMATRICULATION AUX ILES CAIMAN (Cayman Islands), l'équivalent du Panama pour les navires  arborant un pavillon de complaisance. Difficile d'aller fouiner dans les comptes bancaires, là-bas. c'est pour çà que cela s'appelle un paradis fiscale. Coïncidence ? J'ai passé l'âge de croire au père Noël...

Ce n’est pas un hasard non plus si ce jet de Felham Enterprises Limited a été choisi. En effet, il était immatriculé aux îles Caïman réputées pour être un paradis fiscal par excellence. Donc, il a été quasi impossible de trouver une pièce écrite quant à la transaction. En tout cas, « Air Force One » II n’a jamais coûté 60 millions de dollars. A présent donc, c’est vraiment le système « kapoka tsy miala vola » (engranger le maximum de biens en dépensant le minimum) qui est démonté et démontré.

Le statut de ce port de Toamasina est "d'intérêt national à gestion autonome" mais que peut faire un directeur face aux ordres d'un dirigeant qui n'a jamais hésité à emprisonner ses contradicteurs ?

Assurances ARO. Autre vache à lait des dirigeants passés, comme la CnaPs ou Caisse nationale de prévoyance sociale, du temps de l'Amiral Didier Ignace Ratsiraka

27 janvier 2012. Selon les déclarations du ministre des Transports d'alors, Rolland Ranjatoelina, il a été prouvé que l’équivalent de 60 millions dollars ont été prélevés dans les caisses du port de Toamasina et celles des assurances Aro où l’Etat possède des actions. Que DWL ait ou non acheté l’avion, où est passé la différence d’au moins 10 millions de dollars ?

La Une de l’Express de Madagascar du 4 juin 2009

De toute façon, il était tout à fait normal si Marc Ravalomanana (toujours en exil en Afrique du Sud) et Hajanirina Razafinjatovo (qui a disparu dans la nature) aient été jugés coupables dans le dossier de l’achat de cet avion. Christine Razanamahasoa, ministre de la Justice, début juin 2009 : "Marc Ravalomanana et l’ancien ministre des Finances et du budget, Haja Nirina Razafinjatovo, sont condamnés à quatre ans de prison ferme. Ils doivent également payer une amende de 70 millions de dollars". Voilà donc la véritable histoire de ce Boeing « Air Force One » II. Si DWL a effectivement acheté ce jet (difficilement vérifiable dans un paradis fiscal comme les îles Caïman), Ravalomanana et ses complices, les directeurs du Port de Toamasina et des assurances Aro, auront détourné l’intégralité des 60 millions de dollars. Sinon, ils auront pu engranger la différence d’au moins 10 millions. Somme qui a  servi, en 2009, à financer sa « guerre » pour la reconquête d’un pouvoir à jamais perdu. Mais, lorsque des actions sont basées sur des questions d’argent pures, elles sont toujours vouées à l’échec. Car les trois quarts de ce sale argent qui parviennent à Madagascar (encore une filière mafieuse à découvrir) sont détournés, à leur tour -à gourmand, gourmands et demi- par les responsables locaux censés les redistribuer. Ah si vous saviez, à l'époque, combien touchait un militant chez Magro en fin de semaine, au vu et au su des passants. Une misère alors que le quotidien des meneurs s'améliorait...

Dossier de Jeannot RAMAMBAZAFY - 23 Novembre 2012

Mis à jour ( Jeudi, 06 Novembre 2014 07:01 )  
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