Antananarivo, hôtel Colbert, 05 mai 2016. FORUM INTER-REGIONAL DE L’OIT SUR LE PARTAGE DE CONNAISSANCES:
Bonnes pratiques et leçons apprises pour la promotion de la coopération internationale et des partenariats, en vue de la réalisation de l’agenda d’une migration équitable pour les travailleurs domestiques migrants en Afrique, dans les Etats Arabes et en Asie
Discours de Mme Dayina Mayenga, Directrice Régionale Adjointe Du Bureau Régional de l’OIT pour l’Afrique
5-7 mai 2016
Antananarivo, Madagascar
Madame la Ministre de l’Emploi, de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle,
Monsieur le Ministre de la Fonction Publique, de la Réforme de l’Administration, du Travail et des Lois Sociales,
Mesdames et Messieurs les Ministres, Membres du Gouvernement,
Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Représentants du Corps diplomatique,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations d’Employeurs et de Travailleurs;
Chers Collègues Représentants du Système des Nations Unies,
Monsieur le Directeur du Bureau du BIT à Antananarivo, Madame la Directrice du Département de la Qualité du Travail au BIT, Chers collègues,
Honorables invités et participants,
Mesdames et Messieurs,
Au nom de M. Aeneas Chuma, Directeur Régional de l’Organisation Internationale du Travail pour l’Afrique, c’est pour moi à la fois un honneur et un plaisir de prendre la parole à l’occasion de l’ouverture de ce Forum de dialogue inter-régional sur le partage des connaissances et des leçons apprises pour la promotion de la coopération internationale et des partenariats, en vue de la réalisation de l’agenda d’une migration équitable pour les travailleurs domestiques migrants en Afrique, dans les Etats Arabes et en Asie.
Avant toute chose, je voudrais exprimer nos remerciements au Gouvernement malgache pour avoir accepté d’héberger ce Forum, et à vos Excellences Madame et Messieurs les Ministres pour avoir bien voulu rehausser de votre présence cette cérémonie d’ouverture. Ensuite, permettez-moi de vous présenter les excuses de M A. Chuma, Directeur régional de l’OIT pour Afrique, qui aurait bien voulu nous rejoindre à ce Forum s’il n’avait été empêché par des engagements antérieurs.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Votre mobilisation pour participer à ce Forum, en dépit de vos autres obligations, démontre l’importance que vous accordez à la question de la migration du travail, en particulier celle qui concerne une des catégories les plus vulnérables constituée par les travailleuses et les travailleurs domestiques. En effet comme rappelé par M. Guy Ryder, Directeur Général de l’OIT, dans son Rapport intitulé « Migration équitable : Etablir un Agenda de l’OIT» présenté lors de la Conférence Internationale du Travail en 2014, la question de la migration est désormais au centre des préoccupations dans les agendas aux niveaux national, régional et global, avec non seulement une dimension d’urgence dans les sociétés et parmi les preneurs de décision, mais aussi une série de controverses pouvant être dommageables a la cohésion sociale si elles sont laissées en suspens.
La question de la migration, y inclus celle des travailleurs domestiques migrants, a été une préoccupation majeure du BIT depuis sa création, En effet, la Constitution de 1919 souligne déjà l’importance du respect de la dignité de chaque travailleur tout en œuvrant à la promotion d’opportunités d’emplois. La non-protection des droits des travailleurs domestiques migrants est une cause de détérioration de la protection de tous les travailleurs en général. La panoplie de Normes Internationales adoptées par l’OIT au cours des années est importante pour la sauvegarde de la dignité et des droits des travailleurs domestiques migrants. En principe, toutes les Normes Internationales, sauf stipulation contraire, sont applicables aux travailleurs domestiques migrants. Cependant, en 2011, le BIT a aussi adopté une Norme spécifique pour la protection des travailleurs domestiques, y inclus les migrants. Il s’agit de la Convention 189 sur le Travail Décent pour les travailleurs domestiques. Bien que certains pays africains aient ratifié quelques-uns des instruments internationaux pertinents, leur mise en œuvre continue à être inadéquate.
Le BIT est préoccupé par la question des travailleurs domestiques migrants à cause du déficit flagrant de travail décent dans ce secteur. C’est une occupation qui place les travailleurs dans des situations vulnérables, en particulier les femmes et les filles et même les enfants. En effet des millions de femmes et de filles à travers le monde sont employées en tant que travailleuses domestiques dans des habitations privées, et y assument un rôle crucial en support aux familles et aux économies.
Pourtant, en dépit de l’importance de leur rôle, elles sont souvent parmi les plus exploitées des travailleurs du monde. Par rapport aux Normes Internationales, les cadres institutionnels et légaux pour la protection des travailleurs domestiques demeurent très faibles dans la plupart des régions du monde.
En réponse à la globalisation et compte tenu de la loi de l’offre et de la demande de l’économie du marché, il est vraisemblable que la pression migratoire continuera à s’accroitre tant en volume qu’en complexité. En effet, aujourd’hui l’effectif des migrants est de plus de 244 millions dans le monde, parmi lesquels 150.3 millions sont des travailleurs migrants. Les travailleurs migrants représentent donc la majorité, soit 61 % des migrants vivant à l’extérieur de leurs pays d’origine, et bien plus si on considère leurs familles. Quant à l’effectif des travailleurs domestiques, il est estime à 67.1 millions dont 11.5 millions sont des travailleurs domestiques migrants. Ces chiffres sont certainement sous-estimés du fait de la concentration des travailleurs domestiques dans l’emploi informel et dans la migration irrégulière. Par exemple, en Afrique, sur un effectif total de travailleurs domestiques estimé à 9.3 millions, on compte seulement
650 000 travailleurs domestiques migrants. Ceux-ci représentent 5.6 % de l’effectif mondial de 11.5 million de travailleurs domestiques migrants. Bien que les chiffres relatifs aux travailleurs domestiques migrants soient significatifs, leur contribution et leurs droits tendent généralement à ne pas être reconnus.
La demande de main d’œuvre hautement ou faiblement qualifiée dans les pays destinataires, confrontés au vieillissement de leurs populations, l’absence d’opportunités suffisantes d’accéder à des emplois décents dans les pays d’origine, et le creusement des inégalités de revenus dans les pays et entre les pays sont autant de facteurs de l’amplification des pressions migratoires. Il faut s’attendre à ce que le nombre de travailleurs migrants continue à s’accroitre, en dépit du haut niveau de chômage qui affecte plusieurs pays destinataires.
Cependant, on ne peut nier le potentiel de la migration à contribuer significativement à la croissance et au développement si cette opportunité est adéquatement gérée. Par exemple, les transferts de fonds des travailleurs migrants vers les pays en développement ont été estimés à environ US$435 milliards en 2015, ce qui représente un montant supérieur à l’Aide Publique au Développement. Ces transferts représentent une opportunité de renforcer le développement des pays d’origine si un cadre adéquat pour en tirer parti est mis en place. Des Institutions telles que l’Union Africaine et la Banque Africaine de Développement s’y attèlent.
Nous sommes tous conscients que la migration est essentiellement motivée par la quête de meilleures conditions de vies, et de ce fait directement ou indirectement liée au monde du travail et aux opportunités d’accès à un emploi décent. Hélas cette quête se fait trop souvent dans un contexte de désespoir et dans des périlleuses conditions. L’actuelle tragédie sur les côtes grecques est un exemple poignant qui rappelle cette triste réalité et illustre l’échec des politiques tout au long de la chaine migratoire de l’origine à la destination en passant par le transit. La migration se met en place à une échelle croissante, ses canaux deviennent plus complexes et sa nature est en train d’évoluer. La migration pose donc des défis politiques majeurs puisqu’elle continue, trop souvent, à être associée à des traitements inacceptables et à des abus de droits au détriment de femmes et d’hommes qui constituent un des segments le plus vulnérable du marché du travail. Cette tendance pourrait s’accentuer dans les prochaines années, notamment du fait des prévisions de l’augmentation du niveau de chômage dans le monde.
En dépit de certaines expériences positives qui peuvent être citées en exemples, force est de constater que la migration est encore trop souvent associée à des conditions inacceptables de travail et à des abus de droits humains. L’inaction sur ces questions serait une abdication face aux responsabilités. Presque chaque jour, nous avons écho d’informations sur l’exploitation et les abus de travailleurs migrants : des jeunes femmes domestiques migrantes retenues de force par des employeurs abusifs sans espoir de s’échapper: ou de jeunes hommes forcés d’exécuter des travaux dangereux mettant en péril leur vie, notamment sur les chantiers de construction, avec impossibilité de partir du fait de la rétention de leurs passeports ; des travailleurs migrants sous le poids de la dette à cause d’une chaine d’infâmes recruteurs qui les mènent du village vers les villes, et par-delà les frontières vers des bidonvilles ou des usines, sans garantie de pouvoir retourner chez eux. Tout cela est dur à entendre. Cependant, nous ne pourrons jamais empêcher la migration qui est un droit humain. Ce que nous pouvons faire, c’est d’œuvrer à la promotion d’un environnement favorable pour la protection de la dignité et des droits des travailleurs migrants.
La migration demeure un sujet contentieux dans les débats politiques et un travail reste à faire pour informer le dialogue aux niveaux national et international. L’échelle et la dimension complexe du problème appelle des solutions holistiques. Globalement, il y a beaucoup de conceptions erronées dans le domaine de la migration à cause de l’insuffisance de données disponibles sur le phénomène. Il y a donc un besoin d’intensifier la recherche en vue d’améliorer la compréhension, notamment sur les impacts de la migration, étant donné que les gaps actuels constituent une barrière a la conception et la planification de politiques effectives, ce qui contribue à alimenter une perception négative des migrants et de la migration dans l’opinion publique.
Il y a besoin d’une plus grande coopération stratégique sur le sujet de la migration, en tant que partie intégrante des Objectifs de Développement Durable Post-2015, à la fois pour la protection des droits et pour la reconnaissance de la migration en tant que facteur de développement. En effet, la globalisation signifie que le développement durable ne peut pleinement se réaliser en l’absence d’un solide partenariat à travers les frontières. L’élaboration et la mise en commun de politiques conjointes sont requises aux niveaux national, régional et international pour assurer que la migration soit équitable pour tous, y inclus les travailleurs domestiques migrants.
Le marché du recrutement des migrants a besoin d’une régulation coordonnée pour assurer des mécanismes équitables de recrutements fondés sur des valeurs éthiques. Le rôle des Inspecteurs du travail nécessite aussi d’être clarifié, de sorte que tout travailleur indépendamment de sa nationalité, de son occupation et de son statut légal puisse bénéficier de protection.
Au BIT, nous croyons fermement qu’il est possible de mettre en place des régimes de migration qui répondent équitablement aux intérêts des pays d’origine et de destination, ainsi qu’à ceux des travailleurs domestique migrants et des autres membres de la population active sur le marché du travail.
Parmi les mesures clés indispensables pour progresser vers ces objectifs, citons:
· La promotion du travail décent pour les travailleurs domestiques migrants, de manière à ce que la migration soit un choix et non une obligation ;
· L’amélioration des Accords bilatéraux et inter-régionaux pour faire face à la dynamique des changements en matière de mobilité du travail, en particulier pour la sécurisation des droits économiques et sociaux des travailleurs domestiques migrants;
· La reconnaissance de la valeur du dialogue social avec les représentants des Gouvernements, des organisations d’employeurs et de travailleurs, ainsi qu’avec les autres acteurs concernés ;
· Le renforcement des capacités des travailleurs domestiques migrants à travers la formation et les compétences professionnelles ;
· La conception et la mise en œuvre de politiques de migration fondées sur l’expérience et en cohérence avec les politiques d’emploi et de protection sociale ; sur ce point l’expérience du terrain découlant de la mise en œuvre de projets de coopération technique peut se révéler utile ;
· Assurer que la mobilité du travail réponde aux besoins réels du marché du travail. Les préoccupations sécuritaires tendent à dominer le débat sur la migration plutôt que la considération des évidences sur les besoins du marché du travail;
· Enfin, il importe que les mandants de l’OIT que vous êtes éclairent la voie à suivre à travers la coordination effective de vos actions en matière de migration du travail.
L’ambition de ce Forum est de se pencher sur le cas de travailleurs domestiques migrants en provenance d’Asie, d’Afrique vers les Etats Arabes. L’enjeu est de taille puisque qu’environ 82 % des travailleurs domestiques œuvrant dans les Etats Arabe sont des travailleurs migrants. Ils/Elles représentent 17.9 % de tous les travailleurs migrants de la région. En effet, les Etats Arabes hébergent l’effectif de travailleurs domestiques migrants le plus élevé du monde, actuellement estime à 1.6 million de personnes. Même lorsque des améliorations ont été constatées de manière générale dans la situation des travailleurs migrants dans les Etats Arabes, elles ont rarement été appliquées aux travailleurs domestiques migrants. Ces derniers ne sont généralement pas couverts par les législations nationales du travail. L’argument de cette exclusion est que le travail domestique migrant ne saurait être régulé de la même manière que le travail couvert par le Code du travail, sans que ne soit violé le domicile privé de l’employeur considéré comme un sanctuaire. Et pourtant, il est nécessaire que des moyens alternatifs soient identifiés pour assurer les droits humains des travailleurs domestiques migrants.
En rapport avec l’un des thèmes majeurs de ce Forum portant sur le renforcement des partenariats en matière de migration , je souhaite conclure en citant l’exemple du Programme conjoint sur la Gouvernance de la migration du travail en Afrique, conçu et mis en œuvre sous le leadership de l’Union Africaine avec les appuis coordonnés du BIT, de l’OIM, de la CEA, du PNUD et d’autres partenaires.
Je saisis cette occasion de remercier les partenaires au développement et les bailleurs de fonds, qui a l’instar de l’Union Européenne, des Institutions et Banques régionales de développement, collaborent avec le BIT pour soutenir les efforts de nos mandants en vue de la promotion d’une migration équitable.
J’adresse également mes vifs remerciements à tous les collègues et partenaires qui ont œuvré aux préparatifs de ce Forum et à vous tous dont la participation, la collaboration et les appuis sont déterminants pour la mise en place d’un Programme de migration équitable pour les travailleurs domestiques en Afrique, dans les Etats Arabes et en Asie.
Soyez assurés que les recommandations qui seront émises à l’issue de vos échanges sur les voies et moyens de promouvoir une migration équitable pour les travailleurs domestiques migrants seront prises en compte par le BIT et que notre Institution ne ménagera aucun effort pour accompagner leur mise en œuvre, notamment à travers une coopération renforcée entre toutes les régions concernées.
Je vous remercie pour votre attention et souhaite plein succès à vos travaux!