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Paul Kagame: «La tragédie du Rwanda est un avertissement. Le processus de division et d’extrémisme qui conduit au génocide peut se produire n’importe où, s’il n’est pas maîtrisé»

Il y a 30 ans, le 7 avril 1994, au lendemain de l’attentat aérien qui a coûté la vie aux présidents rwandais et burundais, un génocide contre les Tutsi -qui dura 100 jours- débuta qui fit des centaines de milliers de victimes. La radio des Mille collines a joué un rôle indissociable aux massacres. Il importe d’en parler ici pour faire comprendre à Fanirisoa Ernaivo qu’elle prend la voie d’un massacre programmé si elle persiste à débiter ses inepties tribales -et autres « Fake news »- sur Facebook.


Je rappelle, qu’il s’agit d’une magistrate malagasy, ancienne présidente du SMM (Syndicat des Magistrats) révoquée pour avoir gravement insulté les forces armées Malagasy (vidéo ICI). Il n’y a aucun mélange de genre de ma part, j’œuvre pour les archives de l’Humanité même. Sur 8.102.059.951 d’êtres humains, le 9 avril 2024, ce n’est pas une petite intrigante qui prétend « voir le possible là où tout le monde croit impossible », à partir de la France, qui empêchera Madagascar de se développer. Ce n'est pas cela la liberté d'expression.


Cela dit, dans le même registre suicidaire dans lequel surfe cette créature égocentrique, voyons ce qu’était la Radio Télévision Libre des Mille Collines ou RTLM au Rwanda.


Il s’agissait d’une station de radio privée rwandaise (sans chaine télévisée) ayant émis du 8 juillet 1993 au 31 juillet 1994. Ce média était devenu devient l'un des instruments de propagande en diffusant sans discontinuer sur les ondes durant trois mois des discours incitant à l'exécution du génocide des Tutsi 1994.

En 1992, la station publique Radio Twanda tombe aux mains d'extrémistes Hutu qui diffusent une propagande haineuse contre les Tutsi. Sur ordre de Ferdinand Nahimana, Radio Rwanda diffuse une fausse information : les Tutsi auraient prétendument établi une liste de personnalités hutues à abattre. Cette « Fake news » a provoqué les massacres du Bugesera au sud-est du Rwanda. Au moins 300 civils Tutsis ont été tués. À cause de son rôle dans ces massacres, Ferdinand Nahimana est congédié de Radio Rwanda, mais sans autre sanction. C’est dans ces conditions qu’il fonda la Radio Télévision libre des mille collines (RTLM) dont la cinquantaine d'actionnaires étaient tous membres de l’Akazu un groupe d’Hutu radicaux dirigé par Agathe Habyarimana, la femme du président… Pour avoir une idée de l’impact mortelle des propos anti-Tutsi propagés par cette radio des Mille Collines, on l’avait surnommée aussi « Radio Télévision La Mort ».


Dans les jours qui précédèrent le début du génocide, il a été annoncé à l'antenne de la radio des Mille Collines que « le 4 ou le 5, il va se passer un petit quelque chose [...] une petite chose est prévue. Cette petite chose va continuer les jours suivants… Hohoho ! ». Le génocide débuta finalement le 6 avril, immédiatement après que l’avion du président Habyarimana ait été abattu, vers 20 h 30. Radio Mille Collines diffusa alors des appels aux meurtres d'une manière explicite où il était question de cafards, de cancrelats, de vermine à écraser… Des listes de personnes à exécuter dès 21 h, laissant penser que la radio était un instrument de la planification du génocide (Source : Wikipédia).

En 2019, j’avais rédigé un ouvrage dans lequel sont compulsés des résultats des recherches de Jaques Morel, spécialiste de la politique française en Afrique et auteur du livre « La France au cœur du génocide des Tutsi », paru en 2010 aux éditions «l’Esprit frappeur ». Quelques extraits en fac-similés de mon ouvrage, rédigé en 2019, illustrent ce document historique peu courant que vous lisez.


Depuis 1994, chaque année, un « Kwibuka » (Souvenir en kyniarwanda) est organisé, en hommage à cette tragédie humaine.


Le 7 avril 2024, « Kwibuka30 » a marqué un cycle générationnel depuis la fin de ce génocide contre les Tutsi. C’était le moment de réfléchir au parcours du Rwanda vers la reconstruction de sa force, de sa résilience et de son unité. Il appartient, désormais, aux nouvelles générations de soutenir et de poursuivre ces progrès, en s’adaptant aux défis mondiaux d’aujourd’hui pour réaliser nos aspirations.

Après avoir allumé la Flamme de l'Espérance (« Flame of Hope »), avec son épouse, au Memorial de Guisozi, le Président rwandais, Paul Kagame, a prononcé un discours profond, au KB Arena. Si profond que j’ai décidé de le traduire intégralement en français.


Mais avant, quelques photos de ce 7 avril 2024, à Guisozi, où le Président Kagame et son épouse, les chefs d'État et de gouvernement présents et anciens, invités et leurs épouses, ont déposé des couronnes de fleurs et observé une minute de silence en ce dernier lieu de repos de plus de 250.000 victimes du génocide contre les Tutsi de 1994. La Flamme du Souvenir qui a été allumée, brûlera pendant les 100 prochains jours en commémoration des personnes disparues.

Avec ce coup d'envoi de l'événement débute la semaine de commémoration nationale. Le Rwanda et le monde célèbrent la 30ème commémoration en mémoire de plus d'un million de Tutsis innocents qui ont été tués par un gouvernement génocidaire utilisant des hutu extrémistes, des milices interahamwe et le personnel de défense et de sécurité du gouvernement entre avril et début juillet 1994.

La cérémonie de dépôt de couronnes a réuni trois catégories de personnalités invitées, composées de hauts responsables du Rwanda et de leurs invités et de hauts dirigeants d’organisations internationales, pour la première ; d'anciens chefs d'État et de gouvernement, pour la seconde, et de chefs d'État et de gouvernement actuels pour la troisième catégories de personnalités.


Nicolas Sarkozy, ancien président de la France, Bill Clinton, ancien président des États-Unis et Thabo Mbeki, ancien président de l'Afrique du Sud ont été rejoints par l'ancien Premier ministre éthiopien Heilemariam Dessalegn et Première dame, entre autres.

Parmi les chefs d'État et de gouvernement actuels, le président Paul Kagame et la Première dame, Jeanette Kagame, ont été rejoints par : le Président du Congo, Sassou; le Président de Madagascar, Andry Rajoelina, et la Première Dame; la Présidente de la Tanzanie, Samiha Suluhu; le Président de la Mauritanie également Président en exercice de l’Union africaine, Mohamed Ould Ghazouani, a représenté l’Organisation continentale; le président de la République tchèque, Petr Pavel, et la Première Dame. Rappelons que la Tchécoslovaquie avait appelé à l’action pour mettre fin au génocide, en 1994. Représentant du roi Mohammed VI, le Chef du gouvernement marocain, Aziz Akhannouch.

Etaient également présents, Hervé Berville, né au Rwanda et Secrétaire d’État français à la mer, a accompagné le Chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné. Parmi les invités, a aussi figuré Charles Michel, président du Conseil de l’Union européenne.


Les dignitaires africains ont été en nombre dans la liste des invités de marque, ce 7 avril 2024 à Kigali : Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine. Les présidents de l’Afrique du Sud, du Bénin, de l’Ouganda, du Nigeria, ou encore du Togo, de la Tanzanie et du Mozambique, ont également pris part à la cérémonie. De même que Abiy Ahmed Ali, Premier ministre de l’Éthiopie.


A présent, allons au BK (Bank of Kigali) Arena et place au discours intégral du Président Paul Kagame, traduit ici de l’Anglais.


Aujourd’hui, nos cœurs sont remplis, à parts égales, de chagrin et de gratitude. Nous nous souvenons de nos morts et sommes également reconnaissants pour ce que le Rwanda est devenu.

Nous, les survivants actuels, vous sommes redevables.

Nous vous avons demandé de faire l’impossible en portant le fardeau de la réconciliation sur vos épaules. Et vous continuez à faire l’impossible pour notre nation, chaque jour, et nous vous en remercions.

Au fil des années, les descendants des survivants luttent de plus en plus contre la solitude tranquille du désir de retrouver des parents qu'ils n'ont jamais rencontrés ou qu'ils n'ont même jamais eu la chance d’avoir vu vivre.

Aujourd'hui, nous pensons également à vous. Nos larmes coulent à l’intérieur, mais nous continuons, comme une famille.

D’innombrables Rwandais ont également résisté à l’appel au génocide. Certains ont payé le prix ultime pour ce courage, et nous honorons leur mémoire.

Notre voyage a été long et difficile. Le Rwanda a été complètement touché par l’ampleur de nos pertes, et les leçons que nous avons apprises sont gravées dans le sang.

Mais les énormes progrès de notre pays sont évidents et ils sont le résultat des choix que nous avons faits ensemble pour ressusciter notre nation.

Le fondement de tout, est l’unité.

C'était le premier choix : croire en l'idée d'un Rwanda réunifié et vivre en conséquence.

Le deuxième choix était d’inverser la flèche de la responsabilité, qui pointait vers l’extérieur, au-delà de nos frontières.


Aujourd’hui, nous sommes, avant tout, responsables les uns envers les autres.

Plus important encore, nous avons choisi de penser au-delà de l’horizon de la tragédie et de devenir un peuple avec un avenir.

Aujourd’hui, nous éprouvons également une gratitude particulière envers tous les amis et représentants du monde entier qui sont ici parmi nous. Nous sommes profondément honorés de votre présence à nos côtés, en ce jour très lourd. Les contributions que vous avez apportées à la renaissance du Rwanda sont énormes et nous ont aidés à en être là où nous en sommes aujourd’hui.

Je veux en reconnaître quelques-uns, tout en demandant pardon de ne pas pouvoir citer tous ceux qui le méritent.

Par exemple, l’Ouganda, qui a supporté le fardeau des problèmes internes du Rwanda pendant tant d’années, et qui en a même été blâmé.

Les dirigeants et les peuples d’Éthiopie et d’Érythrée nous ont aidés à commencer la reconstruction à cette époque. En fait, le Premier ministre Abiy Ahmed, qui est ici, a même servi comme jeune casque bleu au lendemain du génocide.

Le Kenya, le Burundi et la République démocratique du Congo ont accueilli un grand nombre de réfugiés rwandais et leur ont offert un foyer.

La Tanzanie a fait de même et a également joué un rôle unique à de nombreux moments critiques, notamment en accueillant et en facilitant le processus de paix d’Arusha. Et ici, je dois citer feu le Président Julius Nyerere, qui incarnait l’esprit qui a jeté ces fondations.

La République du Congo a été un partenaire productif dans la reconstruction, et bien plus encore.


De nombreux pays, représentés ici aujourd’hui, ont également envoyé leurs fils et leurs filles servir comme soldats de la paix au Rwanda. Ces soldats n’ont pas laissé tomber le Rwanda ; c’est la communauté internationale qui nous a tous laissé tomber, que ce soit par mépris ou par lâcheté.

Parmi ceux qui sont parmi nous aujourd’hui, je salue la veuve et la fille du regretté capitaine Mbaye Diagne du Sénégal, décédé en héros en sauvant de la mort de nombreux Rwandais.

Au Conseil de sécurité des Nations Unies en 1994, la clarté morale est venue du Nigeria, de la République tchèque et même de la Nouvelle-Zélande.

Leurs ambassadeurs ont eu le courage de qualifier le génocide de son nom légitime et de résister aux pressions politiques des pays plus puissants pour cacher la vérité. L'Ambassadeur Ibrahim Gambari du Nigéria et l'Ambassadeur tchèque, Karel Kovanda, sont parmi nous, aujourd'hui, et nous vous félicit

Même dans les pays où la politique gouvernementale était du mauvais côté de l’Histoire, tant pendant le génocide qu’après, il y a toujours eu des individus qui se sont distingués par leur honnêteté et leur humanité. Nous leur serons toujours reconnaissants.Nous apprécions également le soutien concret que nous avons reçu de partenaires au-delà de notre continent au cours des trente dernières années, en Europe, aux États-Unis, en Asie et de nombreuses organisations et philanthropies internationales.Un exemple notable de solidarité nous est venu d’Afrique du Sud, un parmi tant d’autres. En effet, l’ensemble des espoirs et des angoisses de notre continent pouvait être vu au cours de ces quelques mois de 1994. Alors que l’Afrique du Sud mettait fin à l’apartheid et élisait Nelson Mandela à la présidence, le Rwanda vivait le dernier génocide du XXe siècle.La nouvelle Afrique du Sud a financé des médecins cubains pour l’aider à reconstruire son système de santé en ruine et a ouvert ses universités aux étudiants rwandais, en ne payant que les frais locaux.Parmi les centaines d’étudiants qui ont bénéficié de la générosité de l’Afrique du Sud, certains étaient des orphelins survivants ; d'autres étaient les enfants des agresseurs ; et beaucoup n’étaient ni l’un ni l’autre.La plupart sont devenus des leaders dans notre pays, dans différents domaines.Aujourd’hui, ils vivent une toute nouvelle vie.Quelles leçons ont réellement été tirées sur la nature du génocide et la valeur de la vie ?

Je souhaite partager une histoire personnelle que je garde habituellement pour moi. Ma cousine, en fait une sœur, Florence, a travaillé pour le Programme des Nations Unies pour le développement au Rwanda pendant plus de quinze ans. Après le début du génocide, elle s'est retrouvée coincée dans sa maison près de la caserne militaire du camp Kigali, avec sa nièce, d'autres enfants et voisins, soit une douzaine de personnes au totalLe téléphone de la maison de Florence fonctionnait toujours et je l’ai appelée plusieurs fois avec mon téléphone satellite.

Chaque fois que nous parlions, elle était de plus en plus désespérée car nos forces n’ont pas pu atteindre la zone. Lorsque le commandant de la mission de maintien de la paix de l'ONU, le Général Dallaire, m'a rendu visite là où j'étais, à Mulindi, je lui ai demandé de sauver Florence. Il a dit qu'il essaierait. La dernière fois que je lui ai parlé, je lui ai demandé si quelqu'un était venu. Elle a dit non et a commencé à pleurer. Puis elle a dit : «Paul, tu devrais arrêter d'essayer de nous sauver. De toute façon, nous ne voulons plus vivre. Et elle a raccroché».

A cette époque, j’avais un cœur très fort. Mais il s'est un peu affaibli, car j'ai compris ce qu'elle essayait de me dire. Le matin du 16 mai, après un mois de torture, ils furent tous tués, à l'exception d'une nièce qui réussit à s'enfuir grâce à un bon voisin.Il est apparu plus tard qu'un Rwandais travaillant au PNUD avait livré ses collègues tutsi aux tueurs. Des témoins se souviennent de lui célébrant le meurtre de Florence la nuit qui a suivi l’attaque. Il a poursuivi sa carrière aux Nations Unies pendant de nombreuses années, même après l’apparition de preuves l’impliquant. Il est toujours un homme libre, vivant désormais en France.

J'ai demandé au Général Dallaire ce qui s'était passé. Il a dit que ses soldats ont rencontré un barrage routier de la milice près de la maison et qu'ils ont donc rebroussé chemin, juste comme ça.

Entre-temps, il m'a transmis un ordre de l'ambassadeur des États-Unis visant à protéger les diplomates et les civils étrangers évacuant par la route vers le Burundi des attaques des milices. Ces deux choses se sont produites en même temps. Je n’avais pas besoin qu’on me demande de faire quelque chose qui va de soi. C'est ce que j'allais faire.

Je ne blâme pas le Général Dallaire. C’est un homme bon qui a fait de son mieux dans les pires conditions imaginables et qui a toujours témoigné de la vérité, malgré le prix à payer pour sa vie.

Néanmoins, dans le contraste entre les deux cas, j'ai noté la valeur qui est attachée aux différentes nuances de la vie.


En 1994, tous les Tutsi étaient censés être complètement exterminés, une fois pour toutes, parce que les massacres qui m’avaient contraint, moi et des centaines de milliers d’autres, à l’exil trois décennies auparavant, n’avaient pas été suffisamment approfondis. C’est pourquoi même les bébés étaient systématiquement assassinés, afin qu’ils ne deviennent pas des combattants.

Les Rwandais ne comprendront jamais pourquoi un pays reste intentionnellement vague sur les personnes ciblées par le génocide. Je ne comprends pas ça. Une telle ambiguïté est en fait une forme de déni, qui est un crime en soi, et le Rwanda le contestera toujours.

Lorsque les forces génocidaires ont fui vers le Zaïre, aujourd’hui appelé République démocratique du Congo, en juillet 1994, avec le soutien de leurs soutiens extérieurs, elles ont juré de se réorganiser et de revenir pour achever le génocide.

Ils ont mené des centaines d’attaques terroristes transfrontalières à l’intérieur du Rwanda au cours des cinq années suivantes, ciblant non seulement les survivants, mais aussi d’autres Rwandais qui avaient refusé de s’exiler, faisant des milliers de morts supplémentaires.

Les restes de ces forces se trouvent encore aujourd’hui dans l’est du Congo, où ils bénéficient du soutien de l’État, sous la vue des soldats de maintien de la paix des Nations Unies. Leurs objectifs n’ont pas changé, et la seule raison pour laquelle ce groupe, aujourd’hui connu sous le nom de FDLR, n’a pas été dissous, est que sa pérennité sert des intérêts tacites.

En conséquence, des centaines de milliers de réfugiés tutsis congolais vivent ici dans notre pays au Rwanda et au-delà, complètement oubliés, sans aucun programme d’action pour leur retour en toute sécurité.

Avons-nous vraiment tiré des leçons ?

Nous voyons trop d’acteurs, même certains africains, s’impliquer directement alors que la politique tribale prend une importance renouvelée et que le nettoyage ethnique est préparé et pratiqué.

Que nous est-il arrivé? Est-ce l’Afrique dans laquelle nous voulons vivre ? Est-ce le genre de monde que nous voulons ?

La tragédie du Rwanda est un avertissement. Le processus de division et d’extrémisme qui conduit au génocide peut se produire n’importe où, s’il n’est pas maîtrisé.

Tout au long de l’Histoire, on attend toujours des survivants d’atrocités de masse qu’ils se taisent, qu’ils s’autocensurent, ou bien qu’ils soient effacés et même blâmés pour leur propre malheur. Leur témoignage est une preuve vivante de complicité et bouleverse les fictions qui réconfortent les facilitateurs et les spectateurs.

Plus le Rwanda assume l’entière responsabilité de sa propre sécurité et de sa dignité, plus la vérité établie sur le génocide est remise en question et révisée.

Au fil du temps, dans les médias contrôlés par les puissants de ce monde, les victimes sont qualifiées de méchants, et même ce moment même de commémoration est ridiculisé comme une simple tactique politique.

Cela n'est pas et ne l’a jamais été.

Notre réaction face à une telle hypocrisie est un pur dégoût.

Nous commémorons parce que ces vies comptaient pour nous.

Les Rwandais ne peuvent pas se permettre de rester indifférents aux causes profondes du génocide. Nous accorderons toujours la plus grande attention, même si nous sommes seuls. Mais ce que nous recherchons, c’est la solidarité et le partenariat pour reconnaître et affronter ces menaces ensemble, en tant que communauté mondiale.


Je vais vous raconter une autre histoire.

Une nuit, dans les derniers jours du génocide, j'ai reçu une visite surprise, après minuit, du Général Dallaire. Il était porteur d'un message écrit, dont j'ai encore copie, du général français commandant la force que la France venait de déployer dans l'ouest de notre pays, l'opération Turquoise.

Le message disait que nous paierions un lourd tribut si nos forces osaient tenter de prendre la ville de Butare, dans le sud de notre pays.

Le Général Dallaire m'a donné quelques conseils supplémentaires. En fait, il m'a prévenu que les Français disposaient d'hélicoptères d'attaque et de toutes sortes d'armes lourdes imaginables, et qu'ils étaient donc prêts à les utiliser contre nous si nous ne nous conformons pas à la teneur du message.

J'ai demandé à Dallaire si les soldats français saignaient de la même manière que les nôtres ; si nous, nous avons du sang dans notre corps.

Puis je l'ai remercié et lui ai dit qu'il devait simplement aller se reposer et dormir, après avoir informé les Français que notre réponse suivrait.

Et c’est ce qui s’est produit.

J'ai immédiatement contacté par radio le commandant des forces que nous avions dans cette zone, il s'appellait Fred Ibingira, et je lui ai dit de se préparer à bouger. A bouger pour se battre.

Nous avons pris Butare à l'aube.

En quelques semaines, le pays tout entier a été sécurisé et nous avons commencé à reconstruire. Nous n’avions pas le type d’armes utilisées pour nous menacer, mais j’ai rappelé à certaines personnes que c’est notre terre, c’est notre pays. Ceux qui saignent saigneront dessus.

Nous avions perdu toute peur. Chaque défi ou indignité nous a rendus plus forts

Après le génocide, nous avons été confrontés au problème de savoir comment empêcher qu’il ne se reproduise. Nous avons tiré trois grandes leçons de nos expériences :

Primo, seuls nous, Rwandais et Africains, pouvons donner toute la valeur à nos vies. Après tout, nous ne pouvons pas demander aux autres d’accorder plus de valeur à la vie des Africains que nous-mêmes. C’est là la racine de notre devoir de préserver la mémoire et de raconter notre histoire telle que nous l’avons vécue.

Secundo, n’attendez jamais de secours et ne demandez jamais la permission de faire ce qui est juste pour protéger les gens. C’est pour cela que certains doivent plaisanter lorsqu’ils nous menacent de toutes sortes de choses, ils ne savent pas de quoi ils parlent. Quoi qu’il en soit, c’est pourquoi le Rwanda participe aujourd’hui fièrement aux opérations de maintien de la paix et apporte également une assistance bilatérale à ses frères et sœurs africains lorsque cela lui est demandé.

Tertio, opposez-vous fermement à la politique du populisme ethnique sous quelque forme que ce soit. Le génocide est le populisme sous sa forme purifiée. Parce que les causes sont politiques, les remèdes doivent l’être aussi. C’est pour cette raison que notre politique n’est pas organisée sur la base de l’appartenance ethnique ou de la religion, et elle ne le sera plus jamais.


La vie de ma génération a été un cycle récurrent de violences génocidaires à trente ans d’intervalle, du début des années 1960 à 1994, jusqu’aux signes que nous voyons aujourd’hui, dans notre région, en 2024.

Seule une nouvelle génération de jeunes a la capacité de renouveler et de racheter une nation après un génocide. Notre travail consistait à leur fournir l’espace et les outils nécessaires pour briser le cycle.

Et ils l’ont fait.

Ce qui nous donne espoir et confiance, ce sont les enfants que nous avons vus dans le spectacle plus tôt, ou les jeunes qui ont créé la tradition de la Marche, pour se souvenir, et qui aura lieu plus tard dans la journée d’aujourd’hui.

Aujourd’hui, près des trois quarts des Rwandais ont moins de 35 ans. Soit ils n’ont aucun souvenir du génocide, soit ils n’étaient pas encore nés.

Nos jeunes sont les gardiens de notre avenir et le fondement de notre unité, avec un état d’esprit totalement différent de la génération précédente.

Aujourd’hui, ce sont tous les Rwandais qui ont vaincu la peur. Rien ne peut être pire que ce que nous avons déjà vécu. C’est une nation de 14 millions d’habitants, prête à affronter toute tentative de nous faire reculer.


L’histoire rwandaise montre quel degré de pouvoir les êtres humains détiennent en eux. Quel que soit le pouvoir dont vous disposez, autant l’utiliser pour dire la vérité et faire ce qui est juste.

Pendant le génocide, les gens avaient parfois la possibilité de payer pour une mort moins douloureuse. Il y a une autre histoire que j'ai entendue à l'époque et qui me reste toujours à l'esprit, celle d'une femme à un barrage routier, dans ses derniers instants.

Elle nous a laissé une leçon que tout Africain devrait suivre.

Lorsque les tueurs lui ont demandé comment elle voulait mourir, elle les a regardés dans les yeux et leur a craché au visage.

Aujourd’hui, à cause du hasard de la survie, notre seul choix est la vie que nous voulons vivre.

Notre peuple ne sera plus jamais – et je dis bien jamais – laissé pour mort.

Je vous remercie./.

Traduit de l'anglais par Jeannot RAMAMBAZAFY

 

 

 

 

Mis à jour ( Dimanche, 14 Avril 2024 04:22 )  
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