Le nom des 5 mules révélé. Il n’y a pas de présomption d’innocence qui compte! Les 5 personnes dont les noms suivent, révélés par les services concernés de la gendarmerie nationale de Madagascar, ont été pris en flagrant délit de transport d’or sans posséder de documents officiels pour ce faire. Il s’agit de : Francis Deliot Regasy, Mahamodo Mahavanona (bénéficiant de la nationalité française) et Zava Herimanana Anjaranantenaina qui ont fait le voyage Antananarivo-Johannesburg via Toliara. Les deux autres impliqués, Lala Iandry Nirina Rasamoelina et Yau Cyrill Iasimanana, quant à eux, sont restés au pays, pour éviter le surpoids sans doute.
Je rappelle que le mot «mule» s'applique aux passeurs d’objets ou de matériaux illicites, qui traversent les frontières, en les transportant de manière camouflée. Concernant ces 73,5 kg découverts début janvier 2021 par les services de douanes sud-africaines, et d’une valeur totale de 4,5 millions USD, il est clair qu’il y a eu des complicités de très haut niveau au sein de l’ACM et de la police de l’Air et des Frontières (PAF) de Madagascar. Seront-ils découverts et sévèrement punis selon les lois en vigueur ? Wait and see...
En attendant de voir la suite des enquêtes, qui seront menées de toutes parts, semble-t-il…, mes recherches personnelles m’ont conduit vers d’autres personnes liées à cette énième découverte d’or transporté illicitement au départ de Madagascar par voie aérienne. Ont-elles un rôle direct ou indirect dans ce véritable fléau pour l’économie malagasy ? Nous verrons également. Pour l’instant, il importe d’en parler.
Il y a, d’abord, Gilbert Biny, un Français très longtemps implanté à Madagascar et qui a été un conseiller occulte de plusieurs Premiers ministres malagasy sur plusieurs décennies. En 1991, il créé la société STA (Services et Transports Aériens) implantée dans une zone de l’aéroport d’Ivato même. Que propose la STA ? « Tous types de vols : voyages d’affaires, vols privés, évacuation sanitaire, sans escale sur l’ensemble de l’Océan Indien ». Ainsi, STA « réalise des vols à destination des aéroports et aérodromes de Madagascar et des îles voisines tels que La Réunion, Ile Maurice, Mayotte… ».
Définitivement devenue « STA Aviation », la compagnie créée par Gilbert Biny -qui avait déjà une flotte constituée de 4 appareils bi-turbopropulseurs- s’est développée en 2018, sous le Président Hery Rajaonarimampianina, avec l’acquisition d’un nouvel appareil : le renommé Piper Cheyenne III A, d’une capacité de 9 places passagers, et permettant de réduire les temps de vol pour les passagers.
Le lancement de ce nouveau jet a eu lieu le 22 septembre 2018, en présence du Ministre des Transports et de la Météorologie et du Directeur Général de l’aviation civil de Madagascar (ACM) de l’époque. Ainsi, depuis plus de deux décennies « STA Aviation » se targue d’être « leader dans l’aviation privée et d’affaires à Madagascar ». Plus encore : « Tous les avions de la compagnie sont agrées par les autorités de l’Aviation Civile Malgache pour l’ensemble des vols nationaux et internationaux dans tout l’Océan Indien. STA Aviation répond ainsi pleinement aux règles de l’aviation civile et des assurances de ses clients corporates, en étant titulaire d’un CTA (Certificat de Transport Aérien) et d’une licence d’exploitation ». Enfin, « les avions de STA Aviation sont à votre disposition 24h/24 – 7j/7 et vous assure un vol dans le confort, la rapidité et la sécurité. Nos appareils vous permettent de couvrir plusieurs destinations dans une même journée ».
Le 31 décembre, dernier jour de l’année 2020, c’est à bord de ce Piper Cheyenne immatriculé 5R-ASB que les « mules » ont transporté 73,5 kilos d’or sous forme de lingots, dans leurs bagages à main. Après une escale à Toliara, pour plein de carburant, ce jet de 9 personnes a fait cap directement vers l’aéroport Oliver Tambo de Johannesburg où les douaniers ont découvert leur trafic. Ont-ils été mis au parfum ? Et par qui ?... En toute honnêteté, il faut admettre que ce n’est pas le premier vol de ce genre et que le nom de Biny constitue le sésame vis-à -vis de l’ACM, des douanes et des ministères concernés, particulièrement le ministère des Mines et des ressources stratégiques dirigé par Fidiniavo Ravokatra. Avant d’aller plus en avant, il faut que vous sachiez ce qu’est une mafia. Voici, selon wikipédia : Une mafia est une organisation criminelle dont les activités sont soumises à une direction collégiale occulte, et qui repose sur une stratégie d’infiltration de la société civile et des institutions.
Les membres d’une mafia, suivant le principe de cloisonnement, ne sont pas obligés de se connaître ni même de se voir, se rencontrer. Tout est question de mots et noms clés. Ici, « STA aviation » égale Gilbert Biny égale grande influence politique et économico-commerciale, quel que soit le dirigeant du pays, entouré de rouages humains d’une mafia malagasy qui existe bel et bien -mais dont il semble ignorer l’existence-, à partir du moment où tout est achetable. Donc, il est clair que le vol du Piper Cheyenne 5R-ASB, en date du 31 décembre 2020, n’a subi aucun contrôle que ce soit de la part de la PAF, des services des douanes ou de l’ACM pour un quelconque plan de vol. Biny, comme sésame, a été le mot-clé et magique pour le laisser filer jusqu’en Afrique du Sud, sans le moindre contrôle, que ce soit de l’appareil, de son itinéraire ni même de ses trois passagers pour neuf places. Au courant ou pas, le propriétaire et les membres de l’équipage sont complices de complicité passive au départ d’Antananarivo. Nous reviendrons sur Gilbert Biny mais concentrons-nous sur un des passagers en particulier.
Je veux parler du jeune Francis Déliot Regasy qui a effectué des études en matière de finances à Shangaï (Chine). Et son nom est inscrit dans les archives d’octroi de marchés de l’ARMP (Autorité de régulation des marchés publics) brassant des milliards d’ariary. Rappelons que l'ariary (ISO 4217 : MGA) est l'unité monétaire officielle de la République de Madagascar depuis le 1er janvier 2005. Il est impensable que le ministre des Mines et des Ressources stratégiques, Fidiniavo Ravokatra, ne connaisse pas ce jeune homme.
En effet, à la page 20 d’un document de 100 pages de l’an 2020 de l’ARMP, on peut lire un achat direct d’un montant de 34.900.000 MGA TTC issus du PIP, d’une « étude sur la mise en place d’une GED (Gestion Electronique de Documents) » pour le compte du ministère des Mines et des Ressources stratégiques. Oui, pas du matériel mais de l’écrit (étude), un marché fictif par excellence en somme.
Le titulaire ? Regasy Francis Déliot. Ce même nom se trouve aussi à la page 434 d’un document de 1.152 pages de l’année 2019 de l’ARMP, à propos d’un achat d’un montant de 24.000.000 MGA TTC, de « fourniture et installation de logiciel informatique et assimilé » pour le compte du ministère auprès de la Présidence chargé des Mines et du Pétrole sous le régime Hvm/Rajaonarimampianina.
Il existe encore d’autres achats fictifs de matériels informatiques pour le compte des ministres Onitiana Realy (Population : 86.860.000 MGA et 143.000.000 MGA) et Rivo Rakotovao (alors à l’Agriculture et l’Elevage : 18.972.000 MGA), contractés par le même Regasy Francis Déliot qui, de « titulaire » de marchés publics et donc devenu passeur, mule d’une cargaison d’or illicite. Il est certain que ce n’est pas la première fois.
D’où vient cet or ? Le scénario, ici, est digne d’un roman d’Harlan Coben («Ne le dis à personne», «Une chance de trop», «Juste un regard», «Intimidation», «Dans les bois»… «L’inconnu de la forêt»). Dans ce secteur de l’Or, les Karana sont en perte de vitesse à Madagascar. Pire, ils font l’objet d’intimidations meurtrières même si l’on se réfère au meurtre, en septembre 2020 au sous-sol de « La City » d’Ivandry, de Danil Radjan Alibay, considéré comme un « opérateur de la filière aurifère ». Mis en cause dans cet assassinat, Lionel Lelièvre, patron de la société de sécurité civile COPS, actuellement sous contrôle judiciaire. Le fait est que ce Français est réputé pour avoir des relations privilégiées avec Gilbert Biny, propriétaire de la société STA… Y-aurait-il alors des liens avec ce dernier trafic d’or éventé en Afrique du Sud ? L’enquête en cours nous en informera ultérieurement, peut-être...
Quoi qu’il en soit, en voyant la forme et l’aspect artisanal des lingots découverts à Johannesburg, cela fait penser à des trucs artistiques chinois. Par ailleurs, si l’eau bout (du verbe bouillir) à 100 C°, le point d’ébullition de l’or est de 2.856 °C. Ainsi, vous ne pouvez pas tellement fondre de l’or sur votre « fatana », qu’il soit à charbon, au gaz, à résistance ou à induction. Une véritable fonderie est utile, ou, au minimum, un chalumeau est nécessaire, utilisé avec du gaz butane et de l’air comprimé, ou avec du gaz propane associé à de l’oxygène pour obtenir des températures supérieures. Et c’est là que les copains chinois du ministre Ravokatra, qui ferme très bien ses yeux, entrent en scène. Tu y vas fort, Jeannot, diront les ignorants (qui ignorent les réalités vraies). Ils sont vraiment ignorants alors.
Il est impossible que ce ministre ignore les exploitations aurifères d’Andraganala. Aujourd’hui, ce site étant complètement dévasté, les chinois se sont déplacés à Maevatanà na. Et que dire des exploitations sauvages à Betsiaka qui se poursuivent malgré, déjà , une injonction présidentielle ? Pour les riverains de ces sites, qui sont devenus -et deviendront- pollués et donc invivables pour la faune, la flore et les êtres humains, c’est simple mais très clair : «Matoa misy taratasy ara-dalà na, matoa avelan'ny forces de l'ordre hitrandraka dia ny deba be no manome «feu vert » ». Faites-vous traduire car je suis écœuré par cette mafia où les karana sont supplantés par les sinoa, à présent. Cet or, déjà exploité illégalement, il faut bien qu’il sort du pays, n’est-ce pas ?
Sachez alors que depuis que Fidiniavo Ravokatra est ministre, ce n’est pas la première fois que des lingots d’or en fuite sont découverts. Il ira même jusqu’à jurer ses grands dieux qu’il ne connaît pas le titulaire de l’Armp devenu passeur, Francis Deliot Regasy. Il aurait mieux fait de bien s’occuper de la Kraoma, une société d’Etat jadis florissante, qu’il a sciemment laissé pourrir avec la complicité du Directeur général, Nirina Rakotomanantsoa, qui doit certainement avoir sa part dans ce système mafieux sino-malagasy. Ajoutée à cela, une autre scène théâtrale que j’ai maintes fois vu et entendu depuis des lustres, de la part des autorités directement concernées.
C’était avant-hier jeudi 7 janvier 2021, face à la presse, sur le seuil du ministère des Affaires étrangères. Solidarité dans la complicité « omertique » (adjectif découlant de l’Omerta, le silence dans la Cosa Nostra), sans doute ? Dire ce qui a été convenu entre eux, sans plus ?... En tout cas, dans le chapitre « parler pour ne rien dire », c’était une réussite. Au lieu de s’attaquer aux racines de ce trafic, l’important, l’urgent, pour ces Messieurs, dans un « paikady matotra raisin’ny fitondram-panjakana, raisin’ny governementa, araka ny baiko », c’est l’extradition des trois passeurs malagasy et le déclenchement d’une procédure qui, comme d’habitude, va s’arrêter aux sous-fifres, sans aucun coup d’arrêt spectaculaire au trafic, incluant les donneurs d’ordre. Ceux-ci vont être protégés d’une manière ou d’une autre et des tas d’innocents iront encore en prison.
« Tsara tsy dia miresaka be loatra isika mianakavy sao dia manohintoina ny enquête izay ataon-tsika », dixit le peu convainquant ministre de la Justice, Johnny Andriamahefarivo. A travers cette déclaration temporellement décalée, une menace à peine voilée sur la liberté de la presse, je dois donc m’attendre à être convoqué par les autorités compétentes pour entrave à une enquête en cours hautement stratégique, alors ? Car, de son côté, le Secrétaire d’Etat à la Gendarmerie, le Général Richard Ravalomanana, s’est fendu d’une déclaration qui m’a laissé pantois mais qui dénote ce brusque branle-bas de combat de tous les ministres se sentant concernés : « Alina be efa ho maraina (Ttf : 07.01.2020), niantso ahy ny Filoham-pirenena : ianao ve mahalala izay volamena tratra tany Afrika atsimo izany ? Tsy mahalala an’izay aho, Andriamatoa Filoha. 2 janvier maraina io. Misy an’izay ka iangaviako ianao, raiso ny enquête an’izy io dia mba atoroy aho hoe iza no tafiditra amin’io, iza aby izay ao. Ary izaho, na iza na iza tafiditra amin’io, dia ataovy ny enquête-nareo, ataovy araka ny tokony ho izy, fa tsy ho hisy indro-fo mihitsy… ».
En tout cas, ils semblent tous avoir été au courant d’un truc qui cloche à propos de ce jet de la STA immatriculé 5R-ASB, mais personne ne s’en est soucié, les fêtes de fin d’années aidant sans doute… Le SEG Ravalomanana : « Ny minisitry ny Sécurité publique sy ny Polisy, ny marainan’ny voalohan’ny volana janoary, dia efa saisi tamin’io raharaha io satria ilay avion io tsy tokony afaka nandeha tany Afrika atsimo. Tsy nisy contrôle-ny PAFizy, tsy nisy contrôle-ny santé, tsy nisy contrôle-ny douanes. Izanyhoe nivoaka antsokosoko teto Madagasikara izany io. Nanomboka tamin’izay dia efa nandray andraikitra izany ny polisim-pirenena, nanokatra enquête mikasika ny hoe : ity misy nivoaka eto Madagasikara tsy ara-dalà na, inona ny antony ? ».
Le ministre de la Justice, Johnny not be good Andriamahefarivo : «Tiako marihina aminareo fa tsy kisendrasendra : tamin’ny 31 desambra, dia efa nisy plainte tonga tao aminay, vokatry ny fikarohana nataon’ny gendarmerie mikasika an’ireo olona ireo ihany (Ttf : ireo tratra nitondra ny volamena izany) amina ady heloka mitovy amin’itony. Ary efa saisi tamin’izay heloka izay ny tao amin’ny PAC (Pôle anti-corruption) amin’ny fandraisany amin’ny polisy sy ny gendarmes ary ny fitsarana. Kanjo moa izany dia nisy an’ity zavatra ity dia mitohy izany ny famotorana. Ny olana kely mipetraka amintsika dia ilay entr’aide judiciaire satria tsy manana taratasim-panjakana, misy izay atao hoe fifanampianaraha misy heloka toa itony mitranga izany amin’ny Afrika atsimo isika ny eto Madagasikara ».
Dans tout çà donc, si le Président Andry Rajoelina n’avait pas téléphoné au SEG, ces responsables ne se seraient jamais empressés de s’adresser à la presse. Car si, en connaissance de cause, personne n’a bougé c’est donc que le mot magique Biny a bien marché. Dès lors, l’équipage du jet va morfler. A présent, à travers mes présentes « divagations » et « hypothèses sans fondement » (j’ai entendu ce refrain depuis plus de 40 ans de journalisme), c’est le président Rajoelina himself qui est au courant de toutes les causes possibles et plausibles même les plus inimaginables. Au moment où l’on parle de réserve d’or, de remaniement, d’émergence, certains petits malins tentent le tout pour le tout. Et quand un ministre Ravokatra ose déclarer publiquement qu’il ne travaille pas le dimanche, c’est qu’il prend le Chef de l’Etat pour un esclave du… travail. Jeu de mots à part et sans blague (mais en est-ce une ?) : si le Président Rajoelina ne frappe à la tête (et aux racines) et très vite, c’est la sienne qui finira par tomber à cause d’une trop grande « souplesse » au niveau de sa gouvernance, qui n’a pas sa place et sa raison d’être lorsqu’on entend mener le pays vers le vrai développement. Il existe la « dictature éclairée » que diable ! Actuellement, il est entouré d’éléments mafieux qui ne pensent qu’à s’enrichir sur le dos des Malagasy et à rendre intouchables des plus riches qu’eux, ici et ailleurs, grâce à un système qui gangrène le haut sommet de l’Etat depuis des décennies. Tout est question de prix est le leitmotiv dans ce milieu où les gros poissons (commanditaires et donneurs d’ordre) ne sont jamais inquiétés. Jusqu’ici, en tout cas dans ce domaine, le silence est… d’or.
Une nouvelle année vient de commencer, et elle ne commence pas très bien avec cette perte de 73,5 kg d’or pour Madagascar. Les Malagasy ne demandent pas une perfection divine de la part de leur Président de la république, mais ils exigent -et c’est la moindre des choses- un peu plus de discernement et de justice. Encore une fois, c’est l’ennemi de l’intérieur qui est extrêmement dangereux pour la nation entière et non pas l’ennemi déclaré qui attaque à visage découvert et qui s’oppose à tout car sans aucun argumentation réelle pour attirer les foules.
Jeannot Ramambazafy - Également publié dans "La Gazette de la Grande île" du samedi 9 janvier 2021